Photographie

L’histoire, les anges et les démons – sur « Journal ukrainien » de Boris Mikhaïlov

Critique d'art

Images de ruine, de paysage et de corps. Un contexte de guerre qui fait le lien avec l’exposition du photographe ukrainien Mikhaïlov à la Maison Européenne de la Photographie. Sa photographie s’attache à un ressort vital venu « du bas », du peuple, de la foule et des personnes, des gens. Un regard singulier à l’ambition documentaire véridictoire, mais qui dessine son propre rapport au monde et au temps vécu, croisant la tragédie et la farce, la contre-propagande politique et le regard humaniste, l’allégorie et le memento mori.

Il est difficile de détacher la réception de l’œuvre de Mikhaïlov – à l’occasion de l’importante rétrospective que lui consacre jusqu’au 15 janvier la Maison Européenne de la Photographie à Paris – du contexte de conflit que vit l’Ukraine dans la guerre de conquête lancée par la Russie de Vladimir Poutine. Une situation d’actualité, enveloppée par la pression d’une guerre médiatique où l’image joue un rôle important, images de ruine, de paysages et de corps. Une étape géopolitique majeure, aux franges de l’Europe, qui dessine un horizon ténébreux et incertain pour les conditions de vie quotidienne, publique et privée, des peuples comme pour les ordres mondiaux.

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Précisons cependant que l’invitation faite à Boris Mikhaïlov à Paris relève d’un projet d’avant Covid, antérieur à l’accélération d’une situation de conflit, conflit jusque là presque silencieux, ou rendu tel par une surdité cultivée de ce côté ouest du continent. Conflit dont l’Ukraine est le territoire central, mais qui fait vibrer tout ce que nous avons encore parfois l’habitude de penser comme « l’Est », ce territoire post-soviétique fragmenté par la fin de l’URSS, puis par la tentative de redéfinition de son empire colonial. Un territoire qui nous paraît souvent flottant, confus, situé dans la conscience que nous en avons situé « nulle part » comme la Pologne d’Ubu, et pourtant si proche.

L’œuvre telle qu’elle nous apparaît à l’occasion de cette exposition, « Boris Mikhaïlov – Journal ukrainien », fournit un puissant étai à la représentation concrète de ce « nulle part ». Nous la recevons aujourd’hui comme un coin qui s’insère dans notre conscience – notre inconscience –des réalités vécues là-bas, devant l’actualité d’une ruine qui a pourtant une déjà longue histoire. Mais avec Mikhaïlov, ce coin s’impose sans volonté démonstrative, moins encore justificatrice ou accusatrice ; sans coquetterie esthétisante et sans nul cynisme; sans certitude, sans complaisance (mais non sans acidité), avec fron


[1] Comme précise le livret de textes qui accompagne l’exposition à côté d’un album monographique de près de 600 pages : Boris Mikhaïlov 1968-2022, Mörel Books/MEP.

[2] L’entretien que France Culture leur a consacré donne une idée de la nature de leur collaboration. (Boris et Vita Mikhaïlov : « Photographier Kharkiv en 1993, c’était montrer les cris du corps » ; Par les temps qui courent, Marie Richeux, diffusé le 7 septembre 2022. Il paraît d’ailleurs, d’après témoignage amical direct, que leurs discussions demeurent souvent des plus véhémentes quand il s’agit de photographie, l’âge (Mikhaïlov a 84 ans) n’ayant rien érodé de leur engagement.

[3] Parmi les vingt sept qu’identifie la monographie déjà citée.

Christophe Domino

Critique d'art, Commissaire d'expositions et enseignant

Notes

[1] Comme précise le livret de textes qui accompagne l’exposition à côté d’un album monographique de près de 600 pages : Boris Mikhaïlov 1968-2022, Mörel Books/MEP.

[2] L’entretien que France Culture leur a consacré donne une idée de la nature de leur collaboration. (Boris et Vita Mikhaïlov : « Photographier Kharkiv en 1993, c’était montrer les cris du corps » ; Par les temps qui courent, Marie Richeux, diffusé le 7 septembre 2022. Il paraît d’ailleurs, d’après témoignage amical direct, que leurs discussions demeurent souvent des plus véhémentes quand il s’agit de photographie, l’âge (Mikhaïlov a 84 ans) n’ayant rien érodé de leur engagement.

[3] Parmi les vingt sept qu’identifie la monographie déjà citée.