Littérature

Une histoire de famille – à propos de Crossroads de Jonathan Franzen

Critique

Récit familial et polyphonique, Crossroads est aussi le nom d’une association religieuse de la paroisse où se déroule l’intrigue. Scrutant la société américaine du début des années 1970, Jonathan Franzen poursuit dans la veine intertextualiste de ses précédents ouvrages, pour se faire cette fois moraliste, livrant une réflexion chorale sur les questions religieuses, le mystère du bien et celui de la foi. Mi-ironique, mi-tragique, il livre un roman ample, tout en digressions, au carrefour de son œuvre.

Depuis une vingtaine d’années, surtout depuis sa spectaculaire percée littéraire en 2001 à la sortie des Corrections, Jonathan Franzen scrutait plutôt ses contemporains à la loupe, se concentrant sur une décennie différente dans pratiquement chaque roman : les années 90 perçues comme « correctives » avec l’avènement du « politiquement correct » mais aussi l’explosion de la population carcérale, des « corrections » boursières et des psychotropes corrigeant le caractère ; l’après-11 septembre de la guerre en Irak et de la crise environnementale dans Freedom (2010) ; l’ère d’Internet et la fin du journalisme traditionnel dans Purity (2015).

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Même si chaque récit pouvait ouvrir, par rétrospection, une fenêtre sur le passé et l’histoire – une banlieue du Midwest dans les années 60 avec Les Corrections ou la chute du mur de Berlin dans Purity – l’intrigue principale était toujours ancrée dans une période contemporaine de celle de l’auteur. Serait-il à un carrefour de son œuvre, ainsi que semble le suggérer le titre du nouvel opus Crossroads ?

Le livre est annoncé comme le premier tome d’une trilogie romanesque intitulée « A key to all mythologies » (« La clé de toutes les mythologies »), nom d’un traité de théologie commencé par le Révérend Edward Casaubon dans Middlemarch, roman de la victorienne George Eliot (1819-1880) à laquelle Mona Ozouf a consacré une étude il y quelques années. Quoique l’écriture de Franzen reste conventionnelle (certains diront conservatrice) et qu’il se réfère souvent à la grande tradition réaliste anglaise ou américaine du XIXe siècle ou du début du XXe siècle, celle de Dickens ou d’Edith Wharton, en proposant ici de donner suite à la somme inachevée d’un personnage fictionnel, il demeure bien postmoderne, ou « aux confins du Postmodernisme », comme l’avait suggéré Stephen J. Burn dans son ouvrage pionnier sur l’écrivain, Jonathan Franzen at the End of Postmodernism (2011).

Le Révérend d’Eliot resurgit donc « intertextuellement » sous


Béatrice Pire

Critique, Maîtresse de conférences-HDR en littérature américaine

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