Une histoire de famille – à propos de Crossroads de Jonathan Franzen
Depuis une vingtaine d’années, surtout depuis sa spectaculaire percée littéraire en 2001 à la sortie des Corrections, Jonathan Franzen scrutait plutôt ses contemporains à la loupe, se concentrant sur une décennie différente dans pratiquement chaque roman : les années 90 perçues comme « correctives » avec l’avènement du « politiquement correct » mais aussi l’explosion de la population carcérale, des « corrections » boursières et des psychotropes corrigeant le caractère ; l’après-11 septembre de la guerre en Irak et de la crise environnementale dans Freedom (2010) ; l’ère d’Internet et la fin du journalisme traditionnel dans Purity (2015).

Même si chaque récit pouvait ouvrir, par rétrospection, une fenêtre sur le passé et l’histoire – une banlieue du Midwest dans les années 60 avec Les Corrections ou la chute du mur de Berlin dans Purity – l’intrigue principale était toujours ancrée dans une période contemporaine de celle de l’auteur. Serait-il à un carrefour de son œuvre, ainsi que semble le suggérer le titre du nouvel opus Crossroads ?
Le livre est annoncé comme le premier tome d’une trilogie romanesque intitulée « A key to all mythologies » (« La clé de toutes les mythologies »), nom d’un traité de théologie commencé par le Révérend Edward Casaubon dans Middlemarch, roman de la victorienne George Eliot (1819-1880) à laquelle Mona Ozouf a consacré une étude il y quelques années. Quoique l’écriture de Franzen reste conventionnelle (certains diront conservatrice) et qu’il se réfère souvent à la grande tradition réaliste anglaise ou américaine du XIXe siècle ou du début du XXe siècle, celle de Dickens ou d’Edith Wharton, en proposant ici de donner suite à la somme inachevée d’un personnage fictionnel, il demeure bien postmoderne, ou « aux confins du Postmodernisme », comme l’avait suggéré Stephen J. Burn dans son ouvrage pionnier sur l’écrivain, Jonathan Franzen at the End of Postmodernism (2011).
Le Révérend d’Eliot resurgit donc « intertextuellement » sous