Littérature

Annie Ernaux, l’écrivaine du siècle des femmes

Le 11 décembre, Annie Ernaux prononcera à Stockholm son discours de réception du prix Nobel de littérature. L’occasion d’ici là de (re)lire une œuvre qui s’est installée dans le temps long, construisant ainsi, par la dissémination des images de soi dans les autres, une communauté de femmes transgénérationnelle et transfrontalière.

En décernant le prix Nobel de littérature à Annie Ernaux, l’Académie suédoise consacre l’œuvre d’une écrivaine engagée qui a su explorer « l’expérience d’une vie marquée par de grandes disparités en matière de genre, de langue et de classe ». S’il résonne fortement avec l’actualité – les 5 ans de #MeToo, mouvement de libération de la parole des femmes qu’Annie Ernaux a eu l’occasion de saluer –, ce « Nobel politique » selon les termes de l’écrivaine elle-même[1] nous invite à reparcourir l’œuvre sur le temps long tant s’y relate, avec constance mais selon une grande variété de formes, l’histoire de l’émancipation des femmes suivant une écriture conçue comme un acte de « transgression[2] » et un « lieu de communion entre l’écrivaine et ses lecteurs[3] ».

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Du programme noté en 1963 dans le journal intime, « J’écrirai pour venger ma race », à la revendication d’une implication par le biais du livre, de la tribune ou encore de la parole en entretien, Annie Ernaux, qui s’inscrit dans la double filiation du surréalisme et de l’existentialisme, n’a cessé de considérer la littérature comme un acte politique, faisant sienne la phrase d’André Breton : « Changer la vie, a dit Rimbaud, transformer le monde, a dit Marx, ces deux mots d’ordre n’en font qu’un ». Des textes tels que « L’écrivain en terrain miné » (1985), « Littérature et politique » (1989), « La littérature comme arme de combat » (2005) ou « C’est quoi être de gauche ? » (Politis, 2014) réactivent une fonction éthique et politique de la littérature (« embarquer les gens dans une autre vision que la majoritaire[4] ») qui se voit pleinement actualisée dans les littératures documentaires portant sur les vies socialement dominées et les témoignages sur les violences sexuelles qui occupent désormais une place importante de la production littéraire contemporaine.

Si Annie Ernaux n’est évidemment pas la seule à avoir contribué à ces renouvellements de l’engagement féministe, la joie des lectrices qui s’est massiv


[1] La Suite dans les idées, 8 octobre 2022.

[2] Elise Huguény-Léger, Annie Ernaux : une poétique de la transgression, Bern, Peter Lang, 2009.

[3] Michèle Bacholle-Bošković, Annie Ernaux : de la perte au corps glorieux, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2011.

[4] « Entretien avec Pierre-Louis Fort » in Annie Ernaux : un engagement d’écriture, Paris, Presses de la Sorbonne Nouvelle.

[5] V. Thomas Hunkeler, « Bien vu, mal dit : la littérature selon Annie Ernaux », in F. Best, B. Blanckeman, F. Dugast-Portes (dir.), Annie Ernaux : le temps et la mémoire, Paris, Stock, 2014.

[6] « L’art de la liste chez Annie Ernaux : « entre l’illusion de l’achevé et le vertige de l’insaisissable », in A. Adler et J. Piat (dir.), Annie Ernaux, les écritures à l’œuvre, 2020, fabula, en ligne.

[7] Jean-François Louette, « Ecrire l’universel singulier », dans M. Contat (éd.), Pourquoi et comment Sartre a écrit « Les Mots », Paris, Presses Universitaires de France, 1997.

[8] Francine Dugast-Portes

[9] Voir Véronique Montémont, « Les Années : vers une autobiographie sociale » in Danielle Bajomée, Juliette Dor (dir.), Annie Ernaux. Se perdre dans l’écriture de soi, Klinsieck, p. 117-132.

[10] Barbara Havercroft, « « Je ne suis pas le plombier ! » Annie Ernaux et le féminisme », in Pierre-Louis Fort (dir.), Annie Ernaux, L’Herne, 2022.

[11] Sur la difficulté d’Annie Ernaux à parler de viol dans ce livre et sur la réception contemporaine de ce récit, voir Anne Grand d’Esnon, « « Vous avez raison et maintenant j’ai raison de dire viol », Fixxion, n°24, 2022 :

Aurélie Adler

Maîtresse de conférences en littérature à l'Université de Picardie Jules-Verne

Notes

[1] La Suite dans les idées, 8 octobre 2022.

[2] Elise Huguény-Léger, Annie Ernaux : une poétique de la transgression, Bern, Peter Lang, 2009.

[3] Michèle Bacholle-Bošković, Annie Ernaux : de la perte au corps glorieux, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2011.

[4] « Entretien avec Pierre-Louis Fort » in Annie Ernaux : un engagement d’écriture, Paris, Presses de la Sorbonne Nouvelle.

[5] V. Thomas Hunkeler, « Bien vu, mal dit : la littérature selon Annie Ernaux », in F. Best, B. Blanckeman, F. Dugast-Portes (dir.), Annie Ernaux : le temps et la mémoire, Paris, Stock, 2014.

[6] « L’art de la liste chez Annie Ernaux : « entre l’illusion de l’achevé et le vertige de l’insaisissable », in A. Adler et J. Piat (dir.), Annie Ernaux, les écritures à l’œuvre, 2020, fabula, en ligne.

[7] Jean-François Louette, « Ecrire l’universel singulier », dans M. Contat (éd.), Pourquoi et comment Sartre a écrit « Les Mots », Paris, Presses Universitaires de France, 1997.

[8] Francine Dugast-Portes

[9] Voir Véronique Montémont, « Les Années : vers une autobiographie sociale » in Danielle Bajomée, Juliette Dor (dir.), Annie Ernaux. Se perdre dans l’écriture de soi, Klinsieck, p. 117-132.

[10] Barbara Havercroft, « « Je ne suis pas le plombier ! » Annie Ernaux et le féminisme », in Pierre-Louis Fort (dir.), Annie Ernaux, L’Herne, 2022.

[11] Sur la difficulté d’Annie Ernaux à parler de viol dans ce livre et sur la réception contemporaine de ce récit, voir Anne Grand d’Esnon, « « Vous avez raison et maintenant j’ai raison de dire viol », Fixxion, n°24, 2022 :