Exposition

Où en sommes-nous avec les arts décoratifs ? – sur l’exposition « William Morris : l’art dans tout »

Directeur de l'École nationale supérieure des arts décoratifs

Peintre, poète, écrivain, traducteur, architecte, décorateur, designer textile, dessinateur de caractères, éditeur, imprimeur, entrepreneur, militant socialiste et fondateur de l’Arts and Crafts, William Morris était tout cela à la fois. À la Piscine de Roubaix, une exposition permet enfin au public français de prendre la mesure d’une œuvre qui aura su saisir dès le mitan du XIXe siècle notre condition anthropocène.

L’exposition que la Piscine, musée d’art et d’industrie de Roubaix, consacre à l’œuvre de William Morris (1834-1896)[1], nous donne a priori une double occasion de nous réjouir. C’est d’abord la première fois qu’un musée français présente l’œuvre de l’initiateur du mouvement Arts and Craft. Icône nationale en Angleterre, cette grande figure de la culture européenne, dont la vie se déploie sur la totalité de l’ère victorienne (1837-1901), n’en reste pas moins méconnu chez nous. L’auteur du roman utopiste News from Nowhere aura pourtant été plutôt partout que nulle part.

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À la fois peintre, poète, écrivain, traducteur, architecte, décorateur, designer textile, dessinateur de caractères, éditeur, imprimeur, entrepreneur, militant socialiste et infatigable conférencier, il serait mort, selon les mots de son médecin, « d’avoir simplement été William Morris, et abattu plus de travail que dix hommes ». C’est la même image d’une vie et d’une œuvre prolifiques que laissent les dernières paroles qu’on lui prête : « Je voudrais m’en aller de manière extravagante » – comme si le passage dans l’au-delà devait prendre la forme d’un dernier projet. L’intensité affective qu’il mit dans sa vie fut enfin si élevée – c’est par « la haine de la civilisation » qu’il motivera par exemple son engagement socialiste[2] – qu’une de ses biographes, Fiona Mac Carthy, ira jusqu’à suggérer qu’elle pût être pathologique, en lui prêtant le syndrome de La Tourette.

La seconde raison de se réjouir d’une exposition William Morris tient à la puissance visionnaire de sa pensée. Au-delà de la banalité de la formule, on reste saisi, à la lecture des textes et des multiples conférences qu’il donne dans les vingt dernières années de sa vie, par leur résonnance avec les grands enjeux écologiques et sociaux de notre temps. Cette dimension transhistorique est d’une certaine manière inscrite dans sa pensée.

Ne cessant de convoquer le passé, en particulier le Moyen Âge, qui fonctionne comme un âge d’or


[1] « William Morris (1834-1896) : L’art dans tout », La Piscine – Musée d’art et d’industrie André Diligent, Roubaix, du 8 octobre 2022 au 8 janvier 2023.

[2] William Morris, « La société de l’avenir » (1887), L’âge de l’ersatz et autres textes contre la civilisation moderne, choisis, traduits et présentés par Olivier Barancy, Paris, Editions de l’Encyclopédie des nuisances, 1996, p. 65.

[3] William Morris, « L’art et l’artisanat d’aujourd’hui » (1889), L’art et l’artisanat, traduit et préfacé par Thierry Gillyboeuf, Paris, Editions Payot et Rivages, 2011, p. 42.

[4] William Morris, « L’art en ploutocratie » (1883), ibid., p. 51.

[5] Ibid., p. 50.

[6] William Morris, « L’art du peuple » (1879), Comment nous vivons, comment nous pourrions vivre, traduit et préfacé par Francis Guévremont, Paris, Editions Payot et Rivages, 2013, p. 94.

[7] William Morris, « Des origines des arts décoratifs » (1886), La civilisation et le travail, traduit par Dominique Bellec et présenté par Anselm Jappe, Neuvy-en-Champagne, Le Passager clandestin, 2013, pp. 66-67.

[8] Ibid, p. 64.

[9] William Morris, « La société de l’avenir » (1887), op. cit., p. 66.

[10] William Morris, « Les arts mineurs » (1877), Comment nous vivons, comment nous pourrions vivre, op. cit., p. 104.

[11] William Morris, « L’art et l’artisanat d’aujourd’hui », op. cit., p. 16.

[12] William Morris, « Les arts mineurs », op. cit., p. 105.

[13] Adolf Loos, Ornement et crime (1908), Paris, Editions Payot et Rivages, 2003 ; Le Corbusier, L’art décoratif d’aujourd’hui (1925), Paris, Champs Flammarion, 2009, p. 81.

[14] Emmanuel Kant, Critique de la faculté de juger, trad. Alexandre Philonenko, Paris, Vrin, 1965, p. 68. Jacques Derrida a consacré de remarquables analyses à la notion de parergon et à son usage dans la troisième Critique dans La Vérité en peinture, Paris, Flammarion, 1978.

[15] William Morris, « La société de l’avenir », op. cit., pp. 78-79.

Emmanuel Tibloux

Directeur de l'École nationale supérieure des arts décoratifs

Notes

[1] « William Morris (1834-1896) : L’art dans tout », La Piscine – Musée d’art et d’industrie André Diligent, Roubaix, du 8 octobre 2022 au 8 janvier 2023.

[2] William Morris, « La société de l’avenir » (1887), L’âge de l’ersatz et autres textes contre la civilisation moderne, choisis, traduits et présentés par Olivier Barancy, Paris, Editions de l’Encyclopédie des nuisances, 1996, p. 65.

[3] William Morris, « L’art et l’artisanat d’aujourd’hui » (1889), L’art et l’artisanat, traduit et préfacé par Thierry Gillyboeuf, Paris, Editions Payot et Rivages, 2011, p. 42.

[4] William Morris, « L’art en ploutocratie » (1883), ibid., p. 51.

[5] Ibid., p. 50.

[6] William Morris, « L’art du peuple » (1879), Comment nous vivons, comment nous pourrions vivre, traduit et préfacé par Francis Guévremont, Paris, Editions Payot et Rivages, 2013, p. 94.

[7] William Morris, « Des origines des arts décoratifs » (1886), La civilisation et le travail, traduit par Dominique Bellec et présenté par Anselm Jappe, Neuvy-en-Champagne, Le Passager clandestin, 2013, pp. 66-67.

[8] Ibid, p. 64.

[9] William Morris, « La société de l’avenir » (1887), op. cit., p. 66.

[10] William Morris, « Les arts mineurs » (1877), Comment nous vivons, comment nous pourrions vivre, op. cit., p. 104.

[11] William Morris, « L’art et l’artisanat d’aujourd’hui », op. cit., p. 16.

[12] William Morris, « Les arts mineurs », op. cit., p. 105.

[13] Adolf Loos, Ornement et crime (1908), Paris, Editions Payot et Rivages, 2003 ; Le Corbusier, L’art décoratif d’aujourd’hui (1925), Paris, Champs Flammarion, 2009, p. 81.

[14] Emmanuel Kant, Critique de la faculté de juger, trad. Alexandre Philonenko, Paris, Vrin, 1965, p. 68. Jacques Derrida a consacré de remarquables analyses à la notion de parergon et à son usage dans la troisième Critique dans La Vérité en peinture, Paris, Flammarion, 1978.

[15] William Morris, « La société de l’avenir », op. cit., pp. 78-79.