Art contemporain

Achever ce qui reste des dieux – sur une vidéo de Mili Pecherer

Critique

Avec Nous ne serons pas les derniers de notre espèce, l’artiste israélienne s’inspire de la Genèse et du poème « Ulysse » de Benjamin Fondane pour donner une méditation aussi hilarante qu’angoissante sur les affres de la création et de l’exil existentiel. Où il est question de foi, d’Ouvert et d’irrésignation. Un film présenté au Musée d’art et d’histoire du Judaïsme, à Paris.

Il y a un corbeau qui cite Benjamin Fondane et qui a bu tout le café. Comme il refuse de travailler et qu’il ne sait rien faire, on le nomme chef-adjoint. On est dans un navire en bois à la topographie incertaine. Il y a des vaches, des poules, des caprins des deux sexes, un pigeon (à défaut de colombe) et Mili Pecherer elle-même ou plus exactement son avatar – puisque Nous ne serons pas les derniers de notre espèce est un film en images générées par ordinateur (CGI). Au fur et à mesure qu’on découvre les lieux, on note un certain nombre de panneaux d’interdiction : interdiction de prendre des photos, de nager, de s’échapper, de jeter les gens par-dessus bord, et quelques autres plus abscons (interdiction de bronzer ? de mesurer le temps ?). Il n’y eut plus de jour et il n’y eut plus de nuit, seulement un grésillement de néons permanent : les intermittences de ceux-ci permettent de passer d’un plan ou d’une séquence à l’autre. Et toujours pas de café au distributeur, ça commence à être pénible.

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Bienvenue à bord du projet Arche, un « programme ultime d’insertion au monde » qui dure 40 jours. Le détail des activités n’est pas hyper clair, mais on vous promet que, si vous suivez les instructions des gentils animateurs (une voix dans des haut-parleurs, en l’occurrence), vous retrouverez un sens à la vie et votre frigo sera rempli. Il suffit de laisser tomber son libre-arbitre, précise la voix. La croisière est cependant un peu gâtée dès le départ (fracas d’orage, rideau de pluie sonore) car « le monde extérieur a complètement disparu, nous vous prions de nous excuser pour ce léger désagrément. » Heureusement, Mili et ses amis animaux font partie de l’équipe des « purs », dont on sent bien qu’ils ont de quoi s’enorgueillir car ils sont « productifs », « utiles » et « rentables » – c’est écrit sur le T-shirt de Mili. Quand elle rechigne à travailler, le pigeon lui promet que ses « heures supplémentaires seront majorées » : les « purs » sont d’évidents spécimens


Éric Loret

Critique, Journaliste

Rayonnages

Arts visuels Culture