Le silence des mères – sur Saint-Omer d’Alice Diop
Laconique, « Saint-Omer » désigne d’abord un lieu, la sous-préfecture du Pas-de-Calais où s’est tenu en 2016 le procès en assises de Fabienne Kabou, accusée d’avoir abandonné son enfant de quinze mois à marée basse sur une plage de Berck-sur-mer. Dans ce titre s’énonce d’emblée la double intention du film : d’une part, remettre en scène, et donc en jeu, son matériau documentaire, à partir des procès-verbaux et des notes soigneusement consignées par la cinéaste qui a elle-même assisté au procès à l’époque ; d’autre part, refuser toute reconstitution du crime et toute tentative d’enquête qui prétendraient élucider le mystère de cette mère infanticide. Car ni la psychologie de la meurtrière, ni la mécanique judiciaire n’intéressent Diop, si ce n’est que l’une et l’autre participent d’une théâtralité qui reconduit les formes de la domination sociale.

Voilà donc le parti-pris de Saint-Omer : tout le matériau qui informe l’écriture du film y est scrupuleusement authentique – seul le nom de l’accusée a été modifié –, mais toute sa dramaturgie obéit à une interrogation plus profonde et plus troublante sur le silence d’une femme qui, au premier jour de son procès, répond au juge qui l’interroge sur les motifs de son geste qu’elle espère que ce procès lui apprendra pourquoi elle a tué son enfant.
Approcher ce silence à travers une enquête documentaire, c’eût été, au pire, le restreindre au domaine du fait-divers obscène et obsédant, au mieux, le replier sur l’expérience personnelle de la cinéaste, troublée par la proximité qu’elle s’était découverte avec l’accusée, elle aussi d’origine sénégalaise, brillante et cultivée. La fiction lui permet d’éviter l’écueil trop frontal de l’autoportrait au miroir, en s’inventant un alter ego chimérique qui pourrait aussi bien être l’écrivaine Marie NDiaye, co-scénariste du film avec la monteuse Amrita David. Rama (extraordinaire Kayije Kagame, dont c’est ici la première apparition à l’écran) est une romancière noire, qui partage