Cinéma

Thelonious Unchained – sur Rewind and Play d’Alain Gomis

Critique

Le réalisateur de Félicité consacre au pianiste mythique à l’aura d’artiste maudit un documentaire en forme d’esquisse au crayon, monté à partir des rushes inédits d’une émission de l’ORTF. Rewind and Play se lit comme un duel à armes inégales, à la Clint Eastwood. C’est Monk contre l’ORTF, le jazzman au piano face à l’image que ses admirateurs et le système médiatique veulent absolument lui faire endosser. Gomis réagence le puzzle et les images. Et parvient à changer l’issue du duel.

Décembre 1969. Le pianiste Thelonious Monk vient à Paris pour un concert salle Pleyel et se prête à l’exercice médiatique de l’émission de télévision de l’ORTF, enregistrée dans les conditions du direct. Monk, alors star internationale très sollicitée, est épuisé par une grande tournée. De fait, il arrêtera de se produire en public peu après, mettant un terme à une carrière non linéaire faite de gloire mais aussi de longues périodes où il ne reçoit pas le succès qu’il mérite et où il se voit même, de façon arbitraire, empêché de jouer.

publicité

En se documentant sur cette figure incontournable et légendaire du jazz pour un projet de film biographique, le cinéaste Alain Gomis est tombé sur cette étrange archive qui semble dévoiler à son corps défendant bien des choses sur le pianiste. Le numéro de la série Jazz Portrait qui lui a été envoyé par l’INA contient les trente minutes de l’émission diffusée début 1970 au cours desquelles on voit Monk interpréter in extenso quatre de ses morceaux, coupé par deux questions anodines auxquelles il répond succinctement et agrémenté du commentaire de son œuvre livré par le présentateur Henri Renaud. Mais Gomis a découvert en outre les rushs de l’émission, soit 2h15 au cours desquelles on voit ce qui encadre le tournage dans les studios de l’ORTF à Pigalle ainsi que les plans non montés de l’enregistrement.

Gomis s’empare de cette archive rare (tous les rushes du reste de la série Jazz Portrait ont été détruits, et on ne sait par quel mystère miraculeux ceux-là ont été conservés) qui documente l’état du jeu de Monk à cette époque, et il l’étudie dans la perspective du film qu’il prépare sur le pianiste et qu’il imagine davantage comme un patchwork à partir de quelques moments de la vie de Monk que comme un biopic traditionnel. On peut envisager Rewind And Play comme une ébauche de travail avant sa fiction, comme une esquisse au crayon dessinée par un artiste qui s’apprêterait à peindre un portrait en grand format.

Un tour de chau