Art contemporain

Quelle raison graphique ? – sur 241 dessins de Giuseppe Penone

Sociologue

Jusque début mars, le Centre Pompidou abrite une collection de dessins donnés par l’artiste italien Giuseppe Penone. En regard de ces dessins, d’autres œuvres du sculpteur sont présentes et entretiennent un dialogue avec ces collections de traits couchés sur le papier. Non seulement ces dessins permettent de mieux saisir la démarche créative de Penone, mais ils donnent aussi à comprendre l’aller-retour entre les médiums et les formats qui anime l’artiste.

Extraits de 328 dessins donnés par Giuseppe Penone au Musée national d’Art moderne, ceux que l’on peut voir jusqu’au 6 mars prochain au 4ème étage du Centre Pompidou restituent les nombreux pans de l’œuvre du sculpteur italien : plus de cinquante années, entre 1967 et 2019, d’un travail connu tant pour sa vocation sylvestre, que pour son ambition plus conceptuelle, celle de sculpter l’acte même de la sculpture, de se jouer des médiums, de se demander si une empreinte peut-être une représentation, de confondre le sculpté et le sculptant, faisant vaciller les catégories d’intérieur, d’extérieur, de plein, de vide…

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Davantage qu’une entrée dans la pensée et le processus créatif de l’artiste, les dessins font voir comme en négatif, et précisément par ce qu’ils ne peuvent pas montrer, l’amplitude si particulière des pièces auxquelles ils se rapportent. L’exposition présente ainsi à la fois des œuvres sculpturales et des dessins préparatoires, des dessins comme documents de recherche, des dessins devenus œuvres…

Associer les médiums

Les dessins de Penone donnent à voir un certain état stabilisé de la création, son substrat le plus graphique que l’œuvre elle-même dépasse de multiples manières. Pourquoi ce témoignage est-il précieux ? Parce que Penone renverse le sens traditionnellement attribué au dessin, celui de l’esquisse, des quelques traits de crayons qui, à leur manière, contiennent l’œuvre potentielle ; reste ensuite à habiller, compliquer, étoffer, raffiner, pour élever l’esquisse au rang d’œuvre, chaque ajout sanctionnant une décision de l’artiste. Ici tout l’inverse se passe, les pièces de Penone étant justement marquées par leur indécision, par la conjonction de divers sens, c’est au dessin qu’il revient de braquer un regard univoque, décidé sur l’œuvre.

Certaines sculptures de Penone font en effet penser à ces objets mathématiques bien connus — le ruban de Möbius, l’éponge de Menger, l’escalier de Penrose — qui tordent la géométrie, qui n’ont pas tout


[1] « Le frottage est un contact, c’est la compréhension d’une surface par le toucher. Avec le frottage, on révèle l’image qu’on touche. […] Le papier, c’est seulement un intermédiaire entre le toucher et l’image. Et c’est l’objectif d’un certain point de vue. Ce n’est pas un dessin qui interprète la réalité. » Peut-on lire dans l’exposition.

[2] Voir le cartel associé dans l’exposition.

[3] « Extraire une pierre sculptée par la rivière, remonter la rivière à contre-courant, découvrir de quel endroit de la montagne vient la pierre, extraire un nouveau bloc de pierre de la montagne, reproduire exactement la pierre extraite de la rivière dans le nouveau bloc de pierre, c’est Essere fiume ; faire une pierre en pierre, c’est la sculpture parfaite, elle redevient nature. »

[4] Voir l’interview de Penone donnée dans AOC le 6 novembre 2021.

[5] Un livre d’Alexandra Arènes, Axelle Grégoire et Frédérique Aït-Touati paru aux Éditions B42.

Benjamin Tainturier

Sociologue, Doctorant au médialab de SciencesPo

Notes

[1] « Le frottage est un contact, c’est la compréhension d’une surface par le toucher. Avec le frottage, on révèle l’image qu’on touche. […] Le papier, c’est seulement un intermédiaire entre le toucher et l’image. Et c’est l’objectif d’un certain point de vue. Ce n’est pas un dessin qui interprète la réalité. » Peut-on lire dans l’exposition.

[2] Voir le cartel associé dans l’exposition.

[3] « Extraire une pierre sculptée par la rivière, remonter la rivière à contre-courant, découvrir de quel endroit de la montagne vient la pierre, extraire un nouveau bloc de pierre de la montagne, reproduire exactement la pierre extraite de la rivière dans le nouveau bloc de pierre, c’est Essere fiume ; faire une pierre en pierre, c’est la sculpture parfaite, elle redevient nature. »

[4] Voir l’interview de Penone donnée dans AOC le 6 novembre 2021.

[5] Un livre d’Alexandra Arènes, Axelle Grégoire et Frédérique Aït-Touati paru aux Éditions B42.