Lueurs – sur La Montagne de Thomas Salvador
Il était une fois quelqu’un qui regarde ailleurs. Tandis qu’il présente une sorte de machine intelligente, la dernière invention de sa société de robotique, un ingénieur détourne la tête de son auditoire et aperçoit des versants enneigés. La scène se déroule dans une salle de réunion impersonnelle, à Chamonix, la cité historique de l’alpinisme.

En un clin d’œil, Pierre décide de réorganiser son existence. Happé par la montagne, il veut monter là-haut et y rester. Rien ne semblait annoncer un tel changement de vie. Pas de maladie incurable. Aucun surmenage qui aurait duré trop longtemps non plus. Sans doute ce genre de meeting ennuie-t-il la plupart des acheteurs potentiels qui y participent. Mais l’orateur qui défend sa technologie paraît très calme. La crise de nerf n’est pas son lot quotidien. L’ingénieur étouffe-t-il dans cette salle dénuée de tout caractère, métaphore d’une vie qui perdrait quand même ses couleurs ? Espère-t-il qu’au-delà de la ligne des mélèzes, dans les hauteurs, toutes les illusions des années révolues se seront dissipées ? Compte-t-il sur la neige et les glaces pour savoir enfin qui il est ?
C’est bien plus que cela. Quelque chose lui manque. Mais il ignore quoi.
La vie de Pierre bascule. Elle ne vacille pas, elle change du tout au tout. La scène familiale au restaurant est à ce titre exemplaire. Marc, le frère inquiet, ne supporte pas que Pierre mette en danger sa carrière professionnelle. Son autre frère, Julien, et sa mère montrent plus de compréhension et d’empathie. Pierre, lui, demeure plutôt muet. Il est incapable de justifier l’abandon de son emploi. Il n’a pas de performance sportive en tête. Il devine peut-être que les crêtes vont le libérer de sa gravité d’ingénieur. Il sait surtout que la montagne l’appelle avec une autorité qu’il accueille sans hésiter et qu’elle va lui permettre d’inaugurer une vie nouvelle. Mais dans quel but ?
Au milieu du XIXe siècle, près de Concord dans le Massachusetts aux États-Unis, Henry Davi