L’ambition de la démesure – sur le Cours de poétique de Paul Valéry
C’est un événement considérable que la première publication en deux gros volumes du Cours de poétique de Paul Valéry, dont on mettra longtemps à mesurer la très grande portée. Aussi partielle qu’elle demeure, la restitution inédite de ce Cours prononcé au sein du Collège de France il y a quelque quatre-vingts ans, due à un impressionnant travail éditorial de William Marx, lui-même professeur audit Collège de France où il occupe la chaire de Littératures comparées, témoigne d’une véritable aventure de pensée aux deux pôles clairement distingués de la notion d’ « œuvre de l’esprit » : le « producteur » d’une part, le « consommateur » d’autre part.

Ouvrant d’innombrables pistes de réflexions mais aussi de discussions, y compris par ce que l’on peut estimer lui faire défaut mais qu’il aide à formuler, le Cours de poétique déploie au plus large une pensée élaborée depuis le geste de création, non pas comme il est bien plus commun sur ou à propos du même geste, et c’est bien pourquoi « ce cours est de même matière que son objet », constatera Valéry l’avant-dernière de ses huit années d’enseignement.
Pour le dire tout autrement, on pourrait avancer que, de même qu’en amour le méta-discours est toujours amoureux puisqu’il émane du sentiment qu’il englobe et cherche à élucider, le méta-discours est ici spécifiquement artistique. Le voudrait-il que le poète qui s’y livre n’en pourrait sortir, et d’autant moins qu’à parler d’art il use du matériau même de sa pratique, le langage (ce qui, au passage et on y reviendra, rend si intéressantes les pensées de l’art formulées par les artistes plasticiens ou les musiciens, dégagés de leur pratique à l’instant de l’analyser, au contraire des écrivains).
C’est dès lors un champ nouveau qu’ouvre Valéry sous ce terme qu’il s’approprie de « Poétique », qu’il a hésité à nommer plus précisément « Poïétique » pour donner d’emblée à entendre le mot dans son acception non pas aristotélicienne mais étymologique : c’est « la notion tout