Cinéma

Une jeune fille irrésolue – sur El agua d’Elena López Riera

Critique

Pour son premier long métrage, Elena López Riera fait le portrait d’une adolescente aux prises avec une légende qui voue les filles à la noyade. Ce faisant, elle crée un univers dont le naturalisme se double d’une étrange poésie liquide et sans finalité précise : une façon, précisément, de mettre la main à la pâte du réel.

Fin de la séquence d’ouverture : un groupe d’adolescents rentre d’une fête au petit matin. C’est la campagne, ou la périphérie urbaine. Au clair-obscur des lumières artificielles, serpentins fluorescents, écrans bleus des selfies qui ont découpé les personnages par petits groupes, succède une aube augmentée d’un lampadaire – plan d’ensemble. L’horizon s’élève aux deux tiers du cadre environ. À gauche une route de terre éclairée, le long d’un mur surmonté de barbelés. À droite, de haut en bas, par couches : des montagnes, les lumières d’une ville, un petit pont, et sous ce dernier un autre chemin en contrebas du premier, plus herbeux encore, où s’enfoncent les personnages de dos. Une touffe d’arbustes sépare les deux routes, celle qui est au niveau de notre œil, et celle qui descend.

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Paysage allégorique de la peinture classique, où les humains ne sont que des figurants. Ou ici, peut-être, une somme de déterminations (le mur, l’obscurité, la nature, etc.) qui les absorbe, à l’instar du passage sous le pont (de l’autre côté, aucun spectre ne vint à leur rencontre).

Séquence deux : les ados discutent au bord d’une rivière. Champ-contrechamp, plus ou moins. Ils s’ennuient, disent qu’ils s’ennuient, qu’ils partiraient bien pour Madrid et ne reviendraient jamais. L’un d’eux, José, est en revanche fraîchement arrivé : on l’appelle « sexy lover », il dira plus tard qu’il était à Londres. Un cadavre de chèvre passe, charrié par le cours d’eau. Une des ados commence à raconter l’histoire de la malédiction du fleuve : il emporterait des jeunes filles avant chaque épisode de pluies torrentielles et de crues. Cependant qu’elle continue son récit, nous sommes embarqués sur la rivière sale, travelling avant, la voix de la jeune fille se fait distante, quitte le monde représenté, comme on dit, devient une voix même pas off, plutôt dissoute, un écho : une autre voix, celle d’un garçon, lui enjoint d’ailleurs de se taire, ne reste plus que le son de l’eau et des insectes de


[1] Cela n’est pas contradictoire avec cette autre remarque de Bachelard qui témoignerait assez bien, de façon poétique, de la tonalité d’El Agua, de sa forme de vie : « L’être voué à l’eau est un être en vertige. Il meurt à chaque minute, sans cesse quelque chose de sa substance s’écroule. La mort quotidienne n’est pas la mort exubérante du feu qui perce le ciel de ses flèches ; la mort quotidienne est la mort de l’eau. L’eau coule toujours, l’eau tombe toujours, elle finit toujours en sa mort horizontale. (…) la mort de l’eau est plus songeuse que la mort de la terre : la peine de l’eau est infinie. »

Éric Loret

Critique, Journaliste

Rayonnages

Cinéma Culture

Notes

[1] Cela n’est pas contradictoire avec cette autre remarque de Bachelard qui témoignerait assez bien, de façon poétique, de la tonalité d’El Agua, de sa forme de vie : « L’être voué à l’eau est un être en vertige. Il meurt à chaque minute, sans cesse quelque chose de sa substance s’écroule. La mort quotidienne n’est pas la mort exubérante du feu qui perce le ciel de ses flèches ; la mort quotidienne est la mort de l’eau. L’eau coule toujours, l’eau tombe toujours, elle finit toujours en sa mort horizontale. (…) la mort de l’eau est plus songeuse que la mort de la terre : la peine de l’eau est infinie. »