Hommage

Kenzaburô Oé ou la réinvention du roman de sa vie

Écrivain

Prix Nobel de littérature en 1994, Kenzaburô Oé est mort il y a tout juste deux mois, le 3 mars 2023. Connu pour son engagement contre le nucléaire civil et militaire, largement traduit en français, il était pourtant peu lu en France. Philippe Forest livre un témoignage à la fois personnel et littéraire en guise d’hommage à celui qui, plus que tout autre écrivain contemporain, a compté pour lui.

Kenzaburô Oé est mort le 3 mars 2023 à l’âge de 88 ans. Après Kawabata en 1968, Oé avait été en 1994 le deuxième écrivain japonais à recevoir le Prix Nobel de littérature. Kawabata, dans son discours de réception, avait célébré la beauté du Japon traditionnel.

publicité

Dans le sien, en réponse, Oé avait choisi d’évoquer les ambiguïtés du Japon moderne. Toute disparition nous trouve impréparés. Dans son pays, on célèbre la mémoire du romancier. Deux revues japonaises, France (Hakusuisha) et Eureka (Seidosha) m’ont demandé un témoignage à la fois personnel et littéraire. Le voici à l’intention du lecteur français et en guise d’hommage à Kenzaburô Oé

Nous avons été nombreux, en France, à éprouver une grande, une sincère tristesse à l’annonce de la disparition de Kenzaburô Oé. Parce que nous l’avions souvent beaucoup lu, parce que nous l’avions parfois un peu connu. C’était mon cas. À l’époque où je l’ai rencontré, c’était en 1999, très précisément : le 18 juin 1999 qui était aussi le jour de mon trente-septième anniversaire, depuis plusieurs années déjà, il avait mis quelque distance – c’est le moins que l’on puisse dire – entre la France et lui. On s’en souvient : il avait condamné avec éclat la décision prise par notre Président d’alors, Jacques Chirac, très exactement un demi-siècle après le double bombardement atomique d’Hiroshima et de Nagasaki, de relancer les essais nucléaires français dans le Pacifique et en guise de protestation, Oé avait annulé la visite qu’il devait nous rendre à l’occasion de l’hommage prévu pour lui après l’attribution de son Prix Nobel.

Une méchante polémique avait suivi. Claude Simon en tête, plusieurs intellectuels français, parmi lesquels Bernard-Henri Lévy, l’avaient pris à partie. Ils lui déniaient le droit de critiquer la force de dissuasion française au prétexte que, japonais, Oé appartenait à une Nation que son impérialisme et son bellicisme d’autrefois avaient définitivement disqualifiée sur la scène internationale. L’argument


Philippe Forest

Écrivain, Romancier, essayiste