Art

Le silence des couleurs – sur « Anna-Eva Bergman. Voyage vers l’intérieur »

critique

Le Musée d’Art Moderne de Paris présente la première grande rétrospective de l’artiste suédo-norvégienne Anna-Eva Bergman, figure-clé de la peinture de l’après-guerre, dont l’attrait pour l’élément marin semble abolir la séparation entre terres septentrionales et méridionales.

Du public français, et sans doute du public mondial, Anna-Eva Bergman (1909-1987) est injustement méconnue, victime d’un manque que l’exposition du Musée d’art moderne de Paris devrait combler.

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Née suédo-norvégienne, Bergman fut peintre, mais elle fut aussi illustratrice et diariste, et elle traversa les cahots de l’Europe du XXe siècle les yeux grands ouverts et avec une détermination d’airain. À propos de certains grands hommes, il arrive que l’on parle d’hommes-siècles ; à propos d’Anna-Eva Bergman, il ne serait pas faux de dire qu’elle fut une femme-siècle. Car certaines personnes sont comme ça – nous reprenons là le titre de mémoires qu’elle rédigea en 1941. L’expression est de l’ordre du constat, d’une forme d’acceptation enjouée qui dit la force et l’indépendance de cette femme.

L’exposition du Musée d’art moderne de Paris doit beaucoup au travail de la Fondation Hartung-Bergman et de son directeur, Thomas Schlesser, qui a consacré une biographie fournie à l’artiste : Anna-Eva Bergman, Vies lumineuses (Gallimard, 2022). Bergman était en effet la femme de Hans Hartung, maître allemand de l’abstraction. Elle l’épousa très jeune, divorça aussi jeune, puis se remaria avec lui après la Seconde Guerre mondiale alors qu’il avait été amputé d’une jambe. Ce fut un compagnonnage riche, accidenté, mêlé aux débats et aux tiraillements abstraction/figuration. Est-ce parce qu’ « il » a éclipsé « elle » qu’Anna-Eva Bergman fut négligée après sa mort ? La réponse demande à être nuancée. C’est davantage la réception de l’œuvre de Hartung qui semble avoir relégué à l’ombre le travail et l’engagement de son épouse.

Par ailleurs, ce serait faire injure à cette artiste absolue que de ne pas l’envisager pour elle et pour ce qu’elle a peint, dessiné et écrit. De ce point de vue-là, il faut reconnaître que l’exposition parisienne remet les pendules du genre à l’heure. Maintenant, déportons-nous en Norvège en 1927, alors que Bergman a été admise à l’Académie des Beaux-Arts


Cécile Dutheil de la Rochère

critique, éditrice et traductrice