Un ravissement – à propos de Sucre de Dorothee Elmiger
Par sa façon directe de poser le sujet, le titre de ce livre intrigue et renvoie à toute une série de romans dont le titre se résume à une matière première. Que ce soit l’or (L’or de Cendrars), le charbon (King coal d’Upton Sinclair), le pétrole (Petrolio de Pasolini), le coton (Une saison de coton, de James Agee).

Les exemples abondent et chacun pourrait décliner sa propre liste. Dans le registre alimentaire, on se souvient qu’on a lu la brève Célébration de la pomme de terre par Jean Follain et « Un steak » de Jack London.
Nous devons « Sugartime » aux McGuire Sisters. C’est le temps du sucre, un moment-sucre, celui de la fin des années cinquante où le sucre joue à la fois comme un doublon du miel (honey, honeymoon) et comme le triomphe des sucreries dans les boissons (Coca, 7Up). A priori, ce n’est pas par appétence pour les McGuire Sisters que Roland Barthes notait dans un article en 1961 que le sucre est « une attitude, un temps, une catégorie du monde ». Ici, au quart du XXIe siècle, le sucre vient de trouver un champ littéraire d’excellence.
La couverture demeure un mystère en raison de ses cactus violets. Mais on en déduit que Dorothee Elmiger n’a pas encore quarante ans, on apprend qu’elle est suisse alémanique, on découvrira accessoirement qu’elle est gauchère. Puisque le titre allemand est Aus der Zückerfabrik, on peut également l’entendre comme La fabrique du sucre dans le sens où Ponge avait écrit La fabrique du pré. Quant au sous-titre de l’édition française, Journal d’une recherche, il l’entraîne du côté de l’essai et on ne sera pas étonné que le nom de Montaigne apparaisse au détour, « tout nu ». Ce roman, car il se présente en même temps comme un roman, va donc raconter une ou – plutôt – des histoires de sucre. Dans cet esprit, l’exergue est tiré d’un livre de Wolfram Lotz, Écritures saintes I : « Où est le sucre, je le trouve pas / Le sucre ».
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Les deux premières pages sont apparemment sans rapport avec le sujet. On avance dans les brous