Théâtre

La puissance du langage – sur Koulounisation de Salim Djaferi

Linguiste

Dans une forme singulière de théâtre documentaire, Koulounisation se penche sur les mots qui construisent la mémoire de la guerre d’Algérie, et avant cela, de son occupation. Plus largement, l’œuvre de Salim Djaferi donne cours à une analyse sociolinguistique de la désignation du conflit, dans une quête infinie de sens de l’hétérogénéité constitutive du langage.

Si le langage est le médium par lequel sont partagées les aspirations les plus profondes, il est aussi celui qui rend compte des actes les plus odieux. Cette ambivalence, qui n’est pas nouvelle, loin s’en faut, suppose deux propriétés de départ : le langage est, d’une part, une pratique strictement collective et donc socio-politique, et d’autre part, il est constitutivement hétérogène.

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Dans cette perspective où le langage relève de l’agir, l’activité de langager ou de paroler[1]ne peut être réduite à la production de signes symboliques, également significatifs par tout un chacun et assignés à l’ordre-de-la-langue[2], celui-là même auquel renvoie la norme ombrageuse des dictionnaires et des grammaires. Au contraire, une multitude d’indices (gestes, hauteur de la voix, mimiques, rythme, tessiture de la voix, mouvements du corps, manières d’écrire, etc.) conduisent le sujet écoutant et regardant, lorsqu’il les identifie, à construire des hypothèses afin d’établir des signifiances en fonction du contexte d’énonciation mais aussi du contexte socio-politique et affectif que ces indices reconstruisent à chaque fois.

Ces hypothèses déterminent alors sa manière de répondre, de parler, de se mouvoir, de se positionner, etc. C’est ainsi que chacune des situations d’échange que nous expérimentons suppose des agencements collectifs toujours singuliers, et jamais réitérés à l’identique. Une double force, celle du pouvoir et du désir, traverse le langage révélant la réflexivité inhérente à la production langagière. Les traces de positionnements antérieurs, de construction socio-politiques, ou de ce que les anthropologues du langage américains nomment « idéologies langagières », ne cessent de faire fluctuer nos discours. Ces dernières réfèrent non pas tant à des systèmes de valeur imposés par les classes dominantes (les « idées fausses » théorisées par Althusser) qu’à des conceptions socio-culturelles (notamment linguistiques) stabilisées et parfois institutionnalisées da


[1] Voir la présentation de ces notions dans mon ouvrage Langue, Anamosa, 2021.

[2] Voir mon ouvrage Provincialiser la langue. Langage et colonialisme, Amsterdam, 2021.

[3] Rapport de réflexivité qui agit simultanément entre des sujets parlant-écoutant-regardant.

Cécile Canut

Linguiste, Professeure à l'Université Paris-Descartes

Notes

[1] Voir la présentation de ces notions dans mon ouvrage Langue, Anamosa, 2021.

[2] Voir mon ouvrage Provincialiser la langue. Langage et colonialisme, Amsterdam, 2021.

[3] Rapport de réflexivité qui agit simultanément entre des sujets parlant-écoutant-regardant.