Littérature

Construire un socle – sur L’Armée invisible de Linda Lê

Écrivain

L’armée invisible paraît un an tout juste après la mort de Linda Lê. Véritable bréviaire qui a la grande beauté des paysages apaisés après la tempête, cet ultime volume de textes se révèle d’autant plus précieux qu’on y perçoit une dimension nouvelle dans son geste critique.

Morte prématurément il y a tout juste un an, en mai 2022 (elle avait 58 ans), Linda Lê fut assurément l’une des grandes figures contemporaines de l’exil en littérature : non seulement son œuvre est hantée par les blessures de l’arrachement, mais la littérature elle-même s’y affirme le seul exil viable.

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Il est difficile en vérité de dire si c’est Linda Lê qui habitait la littérature, ou la littérature qui l’habitait tout entière, sans tambour ni trompette. Ce qui est sûr c’est que la littérature ne saurait, en l’occurrence, être réduite à un refuge quand cette lectrice littéralement insatiable n’a cessé de s’aventurer à la découverte des écritures les plus exaltantes, qui sont souvent les plus exigeantes et parfois les plus déroutantes, et de s’en faire l’intercesseur, comme en témoigne une fois de plus ce nouveau volume de critiques.

Un an tout juste après son décès, la parution de L’armée invisible se révèle d’autant plus précieuse qu’on y perçoit une dimension nouvelle dans son geste critique, alors même que depuis ses débuts Linda Lê a régulièrement ponctué son œuvre romanesque de recueils de préfaces et autres articles célébrant les « éclaireurs » méconnus ou les grands illuminés de la littérature mondiale pour qui et à jamais « la poésie sera effraction ou ne sera pas » : Tu écriras sur le bonheur en 1999, Au fond de l’inconnu pour trouver du nouveau en 2009, Chercheurs d’ombre en 2017.

Lisant, écrivant, elle a toujours été l’exploratrice inlassable d’un très vaste continent littéraire qu’elle aura arpenté jusque dans ses recoins les plus obscurs et méconnus, s’attardant souvent dans l’Europe centrale du XXe siècle, invitant à d’incessantes découvertes autant qu’à des piqûres de rappel (comment a-t-on pu passer à côté des nouvelles traductions de Pavel Vilikovsky, dont on ne connaît que le très extraordinaire Le Cheval dans l’escalier ?), sans négliger pour autant les phares majeurs que connaissent ne serait-ce que de réputation la plupart des lecteur


Bertrand Leclair

Écrivain, Critique littéraire

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