Littérature

Dissident, indocile et drôle – sur l’œuvre de Sergueï Dovlatov

critique

Que reste-t-il de la Russie des années 1970, celle de Dovlatov ? Plume légère et percutante trop peu connue du public européen, Sergueï Dovlatov est un être doué du génie de l’humour, un talent précieux, à la fois un moyen d’endurer et de tenir à distance la réalité quand elle est trop dure. (Re)lu en 2023, Dovlatov rappelle le fil rouge qui relie le comique et la résistance, comme un clin d’œil au président ukrainien, ancien acteur devenu farouche opposant à l’invasion russe.

S’il était vivant et libre, parions que Sergueï Dovlatov serait sollicité par les médias avides de témoignages sur la Russie actuelle, son goût de la guerre et sa peur, voire sa détestation de la liberté. Dovlatov est né en 1941 et mort jeune, à 48 ans, en 1990. Il vivait alors à New York, exilé, légèrement dépité, mais enfin publié et armé d’une épée inoxydable nommée humour.

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En Russie, aujourd’hui, c’est un écrivain dont on se passe les livres comme un manuel de survie par le rire et la pirouette. En France, curieusement, Dovlatov est méconnu. Alors saluons l’entreprise des éditions de la Baconnière, maison suisse francophone, qui édite et réédite toute son œuvre.

Et rappelons que la Suisse fut le pays d’accueil du jeune et fiévreux Lénine, avant qu’il ne devienne le meneur de la révolution d’Octobre. Du héros révolutionnaire, que reste-t-il dans l’URSS des années 1970, celle de Dovlatov ? Des slogans desséchés, des portraits reproduits ad nauseam, une sanctification au laïcisme trouble, ainsi que l’occasion pour les résistants intérieurs de se gausser plus ou moins ouvertement de ce culte.

C’est ainsi que dans Le Livre invisible, autobiographique, le débutant Dovlatov est convoqué par la commission spéciale des jeunes auteurs de Leningrad. Ses interlocuteurs lui demandent ce dont il aurait besoin « en premier lieu ». « “Je leur réponds en grasseyant comme Lénine : en premier lieu, il faut s’emparer des ponts. Puis assiéger les gares. Bloquer la poste et le télégraphe… ” Les membres de la commission frémissent et échangent des regards. »

Dans un pays dirigé par d’immaculés produits du Parti et du KGB, toucher aux idoles et à la mystique de la révolution, c’est blasphémer. En face, on panique, on s’indigne face à tant d’audace, on craint pour son poste, sa peau et celle de ses proches… Ou on éclate de rire parce que la puissance subversive de la parodie est irrésistible. Il n’est pas un récit de Dovlatov qui ne joue de la peur qu’un régime distille avec m


[1] Le film d’Alexeï Guerman, intitulé Dovlatov, sorti en France en 2018, met très bien en scène le harcèlement dont souffrit Dovlatov, ainsi que son amitié avec Joseph Brodsky.

Cécile Dutheil de la Rochère

critique, éditrice et traductrice

Notes

[1] Le film d’Alexeï Guerman, intitulé Dovlatov, sorti en France en 2018, met très bien en scène le harcèlement dont souffrit Dovlatov, ainsi que son amitié avec Joseph Brodsky.