Le labyrinthe des passions sadiennes – sur l’exposition « Sade, la liberté ou le mal »
Comment lire Sade aujourd’hui ? Figure extrême de la modernité, l’écrivain salué au XXe siècle par les avant-gardes artistiques et philosophiques, l’infernal marquis est-il encore fréquentable, au regard des critères et des modalités d’acception actuels des formes de violence et de domination ? Le retour d’un certain « moralisme » peut-il s’accommoder de ses principes du libertinage effréné, déployés dans sa Philosophie dans le boudoir ?

S’il a toujours troublé les consciences, même de ceux qui l’admiraient au plus haut point, Sade n’échappe-t-il pas, plus que jamais, à un système de normes éthiques à travers lequel une société se définit comme épanouie et décente ?
La complexité que confère aujourd’hui la lecture de l’œuvre de Sade, et les manières multiples et paradoxales dont elle infuse le paysage de la création artistique et intellectuelle, traversent la magistrale exposition du CCCB (Centre de culture contemporaine de Barcelone), « Sade, la liberté ou le mal ». Proposée par Alyce Mahon, professeure d’Histoire de l’Art moderne et contemporain à l’université de Cambridge, et Antonio Monegal, spécialiste en théorie de la littérature, l’exposition réussit ce tour de force d’éclairer la puissance émancipatrice et/ou maléfique de l’œuvre de Sade, en mobilisant les analyses de nombreux penseurs attachés à son œuvre (Stéphanie Genand, Éric Marty, Dany Robert-Dufour, mais aussi Georges Bataille interrogé par Pierre Dumayet en 1958 à propos de La littérature et le mal…), et les œuvres qui, du cinéma aux arts plastiques, de la performance à la littérature, puisent dans le corpus sadien la sève d’un regard aiguisé, parfois déguisé (latex et cuir noir), sur le monde.
De Guillaume Apollinaire à Luis Bunuel, de Hans Bellmer à Andres Serrano, de Jean-Jacques Lebel à Albert Serra, de Salvador Dalí à Toyen, de Man Ray (sublime Monument à D.A.F de Sade) à Pier Paolo Pasolini, de Pierre Molinier à Robert Mapplethorpe, de Susan Meiselas à Angelica Liddell, de Paul McCart