Fleuve et toile – sur Mississippi de Sophie G. Lucas
Comme un fleuve entré en crue menaçant de déborder le présent pour fertiliser l’avenir, Mississippi, la geste des ordinaires emporte deux siècles de colère sociale dans le flot d’une écriture vive, aussi changeante d’un chapitre et donc d’une époque à l’autre qu’un miroir à facettes : une écriture parfois rugueuse qui vise à étreindre le réel plutôt qu’à se couler dans une réalité enjôleuse.

Pour relever de la catégorie des premiers romans comme y insiste l’éditeur, le quinzième livre de la poétesse et documentariste Sophie G. Lucas n’est certes pas un premier roman ordinaire – constat qui ne va pas, d’ailleurs, sans interroger cette notion si discutable de « premier roman » devenue une sorte de sésame commercial dans la grande machinerie des rentrées éditoriales et médiatiques, qui n’aime rien tant que consommer la virginité.
Réduire la notion de premier roman à un grand bal annuel des débutant·e·s relève de l’ineptie, et Mississippi, la geste des ordinaires le prouve s’il en était besoin : quand bien même elles seraient déployées pour la première fois dans le temps long d’un roman, la maîtrise rythmique dont il témoigne et sa capacité à faire chanter la langue populaire se sont forgées au long des recueils qui l’ont précédés, dans une évidente continuité – citons en particulier, chez le même éditeur (Éditions La Contre Allée), On est les gens (2023), chronique poétique des révoltes sociales, et le très remarqué Témoin (2016). Hommage au grand poète objectiviste américain Charles Reznikoff, Témoin doit son impulsion première au célèbre Testimony : The United-States 1885-1890, écrit à partir d’archives judiciaires : ayant « suivi des procès en correctionnelle au Tribunal de grande instance de Nantes de septembre 2013 à janvier 2014 », Sophie G. Lucas s’en est inspirée pour élaborer un montage à partir du matériau brut qu’elle avait collecté, rythmant et découpant les phrases entendues pour, peu à peu, y tramer le portrait d’un père absent et longtemps déte