Corps à corps – sur Le temps est une mère d’Ocean Vuong
Ocean Vuong est sur TikTok. Pas lui directement, mais ses livres et ses fans. Le hashtag #oceanvuong a été vu plus de 35 millions de fois sur le réseau chinois. En comparaison (n’est pas raison), notre Jacques Roubaud national, Grand Prix de poésie de l’Académie française 2023, est à 814 vues. Guillaume Musso s’en sort mieux avec 1,8 millions. Tous sont battus à plates coutures par #arthurrimbaud (46,5 millions).

Plusieurs remarques s’imposent au sujet de ce sondage épistémologiquement proche de zéro : d’abord que les États-Unis sont le plus gros marché de TikTok et que ce dernier y est la principale source d’information d’un quart des moins de 30 ans. Ça tombe bien : Ocean Vuong en a 34. Il en avait quatre de moins à la sortie de son premier roman, Un bref instant de splendeur[1]. Le booktokeur[2] Jack Edwards fait 78,5 kilovues avec une citation de ce texte autobiographique. Dans sa vidéo, le jeune « bibliothécaire », comme il se désigne lui-même, est très normalement face caméra. On lit en travers de l’écran « Quand Ocean Vuong écrit « Tu m’as dit une fois que l’œil humain était la plus solitaire des créations divines. Que tant de choses de ce monde traversent la pupille, et que pourtant elle ne retient rien. L’œil, isolé dans son orbite, ne sait même pas qu’il y en a un autre, exactement pareil, à quelques centimètres de lui, tout aussi avide, tout aussi vide. » », puis Edwards fait le geste de s’ouvrir le cœur avec une arme blanche, tandis qu’on entend un sifflement métallique.
Remarque consécutive : alors qu’elle est chez nous – toujours du point de vue des représentations plutôt que de la réalité – le club perpétuel des vieux poètes masculins, blancs et hétérosexuels, la poésie est jeune, inclusive et médiagénique aux États-Unis. Exemple : l’Afro-américaine Amanda Gorman, 22 ans au moment de déclamer son poème « The hill we climb » pour l’investiture de Joe Biden. Ou Ocean Vuong, gay et d’origine vietnamienne. Dans son premier recueil de poèmes, Cie