Cinéma

Enquête dans la fabrique du goût – sur Menus-Plaisirs de Frederick Wiseman

Journaliste

Le nouveau film de Frederick Wiseman, Menus-plaisirs, les Troisgros, sort en salle le 20 décembre. Explorant les arcanes d’un des plus prestigieux restaurants français, le documentariste américain met en évidence les multiples chaines de décision, les circulations de matières, de formes, de paroles, de gestes, de compositions d’éléments de natures très différentes. Ces négociations constamment renouvelées, où s’activent des ressorts dans ce cas mieux visibles mais qui sont aussi agissant dans la vie de chacune et chacun, convergent vers un cérémonial qui partage bien des aspects avec une œuvre d’art.

Ce sont, d’abord, des gestes, pour tâter, pour humer, pour soupeser. La mobilisation des sens, le regard, l’odorat, le goût. Des gens dont on perçoit immédiatement combien, chez eux, un vaste savoir se combine à des sensations, à une exploration des matières, des formes, des saveurs.

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Le nouveau film de Frederick Wiseman, le quarante-troisième depuis Titicut Follies en 1967, concerne un restaurant. Un des plus célèbres et des plus cotés, celui de la famille Troisgros, à proximité de la ville de Roanne.

Le film se déroulera dans trois espaces, qui ont chacun sa dynamique : la cuisine, la salle de restaurant, et l’ensemble des lieux où les Troisgros s’approvisionnent – le marché, le potager, les maraichers, les éleveurs et les affineurs de fromage alentours. On retrouve au fil des 238 minutes du film deux des caractéristiques du cinéma de Wiseman, qui ont eu tendance à s’affirmer plus encore au cours des dernières décennies, la place accordée aux circulations, aux articulations entre des approches et des fonctionnements différents mais relevant d’une même architecture institutionnelle, et l’importance de la parole, plus exactement des discussions.

Exemplairement, les grands films des années 2010 et du début des années 2020, At Berkeley, National Gallery, Ex Libris, City Hall ont déployé les ressources d’un cinéma documentaire qui apporte une attention extrême aux mots partagés, dans de multiples contextes, affirmant la possibilité d’en faire un ressort dramatique palpitant dès lors que la manière de filmer permet de percevoir tout ce qui se joue, sur le terrain de la construction du collectif, de la circulation des affects et des rapports de force, au sein de ces échanges verbaux. Et les mêmes films ont aussi mieux mis en valeur un usage du montage qui articule les espaces, les décors, et les manières de passer de l’un à l’autre, comme éléments à la fois de dynamique et d’intelligence des processus.

Voici un demi-siècle que Wiseman est qualifié de « cinéaste


Jean-Michel Frodon

Journaliste, Critique de cinéma et professeur associé à Sciences Po

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