Littérature

Les insondables facéties – sur Sans valeur de Gaëlle Obiégly

Écrivain

Un petit tas d’ordure, d’apparence innocente et rencontré au hasard d’une rue, entraîne la narratrice dans une troublante tentative de sauvetage. L’occasion pour Gaëlle Obiégly d’exposer une introspection narrative et une réflexion sur la production du récit et l’archivage.

Facétie vient d’un mot latin signifiant plaisanterie, au sens littéral de ce qui est plaisant, associé à l’élégance mais aussi à l’intuition et plus encore à la notion si complexe d’esprit qui peut la rendre vertigineuse. On pourrait dire que la facétie est la crème de la plaisanterie : là où la plaisanterie peut être bonne ou mauvaise, lourde ou légère, méchante sinon excluante, la facétie, qu’elle soit espiègle ou bouffonne, échappe à cette ambivalence et au jugement moral qui en découle : elle révèle ou n’est pas, dévoilant sans rien en dire, et c’est là le sortilège qui libère l’étrangeté d’un rire interloqué.

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Née avec le millénaire, l’œuvre qu’élabore Gaëlle Obiégly depuis Petite figurine en biscuit qui tourne dans sa boîte à musique (2000), et tout particulièrement depuis Mon prochain (2017), s’impose comme l’une des plus passionnantes que l’on connaisse sur la scène contemporaine par sa capacité à nous entraîner joyeusement aux lisières tragiques d’une folie que l’on peut assurément dire douce, du point de vue du lecteur embarqué. C’est mine de rien qu’elle y remet en jeu le lieu commun des évidences raisonnables, interrogeant d’une manière profondément facétieuse, précisément, les voies escarpées des petites superstitions ordinaires et autres pensées obsessionnelles qui structurent nos existences prétendument rationnelles.

Alors que Sans valeur (titre qui, n’ayant pas de prix, laisse peu de prise à qui prétendrait en juger en lecteur es-qualités) nous confronte au poison qu’est devenue l’obsession contemporaine pour les notions de valeur et d’identité, obsessions propices au plus mortifère des ressentiments et aux hantises rémanentes d’un « déclassement » fantasmé en déchéance collective, on ne peut que se souvenir ici de ce que Freud disait du « trait d’esprit ». Théorisé comme une ouverture sur les mystères de l’inconscient, dans le prolongement de l’interprétation des rêves, le Witz freudien a été d’une importance déterminante dans le cheminemen


[1] Christian Bourgois éditeur, août 2022.

[2]Tout particulièrement dans n’être personne (2020), dont la narratrice se trouvait coincée dans les toilettes de son entreprise, un vendredi soir, dépourvue de téléphone mais – heureux hasard – munie d’un stylo porté en pendentif sur son uniforme d’hôtesse, stylo qui lui permettait aussitôt de partir en digressions saisissantes comme d’autres en week-end, puisqu’en ces lieux le papier ne manque pas.

Bertrand Leclair

Écrivain, Critique littéraire

Rayonnages

LivresLittérature

Notes

[1] Christian Bourgois éditeur, août 2022.

[2]Tout particulièrement dans n’être personne (2020), dont la narratrice se trouvait coincée dans les toilettes de son entreprise, un vendredi soir, dépourvue de téléphone mais – heureux hasard – munie d’un stylo porté en pendentif sur son uniforme d’hôtesse, stylo qui lui permettait aussitôt de partir en digressions saisissantes comme d’autres en week-end, puisqu’en ces lieux le papier ne manque pas.