Littérature

In absentia – sur En aveugle d’Eugene Marten

Critique

Un type sort de prison et trouve un taf dans une entreprise de serrurerie. Sa perception de la réalité semble mate et sourde ; les objets, les autres et lui-même pris dans une passivité insoluble. Dans ce premier roman écrit il y a vingt ans, l’auteur américain transforme la rétention d’information en littérature de la déréliction : on y avance à tâtons.

Ça se passe aux États-Unis donc tout est très informel (fantasme européen) et va très vite : aussi bien trouver une piaule miteuse avec cafards burroughsiens qu’un boulot payé à la semaine ou à la quinzaine, au choix, comme le loyer, d’ailleurs.

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Serrurier, ça consiste par exemple à dupliquer des clés : « On met l’ébauche dans un étau, l’originale dans l’autre. Bouger le chariot revient à démarrer la fraise. Pousser l’originale tout contre le système de guidage, le faire passer sur les encoches – ce qui revient à bouger l’ébauche exactement de la même manière. » Les longues pages consacrées aux démontages de serrures ressemblent un peu aux cauchemars que l’on fait, enfant, à l’approche des 40 °C de fièvre, motifs qui tombent devant les yeux en Tetris virulent, ne s’ajustent jamais, se surimposent dans une nausée mentale sans bords. D’autant que la clé est un terme et un objet extrêmement productif de sens, malaisé à saisir.

La première expérience que nous avons de la clé, comme dirait Sartre, est celle de la pénétration : ça ne rentre parfois pas, ou mal, on ne peut pas déverrouiller le barillet. Il y a la castration avec la clé cassée dans la serrure (aïe). Ou la célèbre clé égarée, au point qu’on en a inventé qu’il suffit de siffler pour qu’elles reviennent. Clés de portes, mais aussi clés de voiture, de moto, de bateaux, etc. Aller faire faire un double de ses clés : mais puisque c’est parfois si facile, comment être sûr que personne d’autre ne possède notre clé ? Ce ne sont pas les récits horrifiques qui manquent à ce sujet.

Et même si une clé quelconque ne peut pas violer votre domicile, « n’importe quelle clé ou ébauche s’insère dans le trou d’une serrure si son profil a été adéquatement taillé – c’est juste qu’elle ne tournera pas sans les bonnes positions (…). c’est monnaie courante dans la profession. Que la clé de votre porte ait pu ouvrir celle de quelqu’un d’autre. » Et d’ailleurs, les possibilités de profils de clés n’étant pas infinies, les so


Éric Loret

Critique, Journaliste