Cinéma

Le Prisonnier du désert – sur Dune, deuxième partie de Denis Villeneuve

Journaliste

Luttes de pouvoir, trahisons, amours, grandes familles dysfonctionnelles, conflits de territoire, guerres inexpugnables, foi, croyances… Dune, deuxième partie concasse et fond ensemble tous les thèmes qui ont peuplé les grands mythes de l’humanité. Seulement esquissés dans le premier volet, ces enjeux dramaturgiques mijotent et cuisent à point dans ce nouvel opus de Denis Villeneuve nettement plus limpide scénaristiquement et visuellement.

Je n’avais pas vraiment aimé Dune, première partie : scénario filandreux, impression visuelle d’un perpétuel brouillard grisâtre, sentiment d’une très longue séquence d’exposition des personnages et des enjeux, le tout scandé par une bande-son (musique et bruitages) tonitruante qui faisait un peu mal à la tête.

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Beaucoup de muscles, pas beaucoup de grâce. Je précise cela pour dire à quel point j’ai préféré ce deuxième volet, plus limpide scénaristiquement et visuellement, avec une colorimétrie globalement plus chaude et lumineuse. Après la géniale génération des Lucas, Spielberg ou Scorsese qui vieillit ou se retire (mais on guettera avec attention le Megalopolis de Francis Ford Coppola), Denis Villeneuve représente (avec Christopher Nolan) la classe actuelle et trop rare des auteurs de blockbusters, un genre qui s’est formaté et « marvelisé » ces dernières années, déversant à la chaine des produits bien fabriqués mais sans âme ni personnalité. Comme son remake de Bladerunner, ce Dune 2 est une belle réussite et donne presqu’envie de revoir le premier volet qui en serait peut-être bonifié à la lumière rétrospective du second.

Souvenez-vous : l’empereur Shaddam avait attribué aux Atréides la gouvernance de la planète Arrakis, aride, désertique, dangereuse, mais riche en « épice », le pétrole-charbon-lithium-métal rare-potion magique du monde de Dune. Ce cadeau spacio-politique était une ruse machiavélique de l’empereur, qui complotait avec les sombres Harkonnen pour récupérer Arrakis et éliminer les Atréides. À la fin du premier volet, on avait quitté Paul Atréides (Timothée Chalamet), le jeune héritier, accompagné de sa mère, Dame Jessica, errant dans le désert avec le peuple local, les Fremen, bien décidé à combattre les Harkonnen et à se venger de ceux qui ont trahi sa famille. Outre la lutte opposant les Fremen aux Harkonnen et à l’empire, ce deuxième volet suit deux pistes, celle du pouvoir et celle de l’amour. Paul est considéré par les Fremen comme le Mahdi, leur Messie, mais il renâcle : non seulement il sait qu’il n’est pas ce Mahdi, mais il n’a pas de goût particulier pour le pouvoir. D’autant qu’il tombe amoureux de Chani, une Fremen, et affronte le classique dilemme des héros mythologiques (et des grands hommes de l’Histoire ?) entre l’amour et… l’appel de la Destinée.

On le voit, Dune 2 compile, concasse et fond ensemble tous les thèmes qui ont peuplé les grands mythes de l’humanité (la Bible, la tragédie grecque, le Nouveau testament, le drame shakespearien ou racinien, le Coran…) : luttes de pouvoir, trahisons, amours, grandes familles dysfonctionnelles, conflits de territoire, guerres inexpugnables, foi, croyances… Seulement esquissés dans le premier volet, ces enjeux dramaturgiques mijotent et cuisent à point dans ce second épisode. La beauté de ces thématiques éternelles, c’est que l’on peut y projeter toutes les périodes historiques qui ont vu s’affronter des forces impérialistes et des peuples autochtones (guerre de Troie, conquêtes romaines, colonisation, nazisme…) en remontant bien sûr jusqu’au présent le plus brûlant : invasion de l’Ukraine par la Russie ou conflit israélo-palestinien. Prenons les Fremen : on pourrait les identifier aussi bien comme les Juifs pourchassés par Rome ou par le nazisme que comme les Palestiniens opprimés par Israël. Par contre, leur Mahdi est emprunté au chiisme. C’est toute l’intelligence universaliste (et commerciale) de Dune que de combiner ainsi divers éléments historiques et culturels, puis de les fondre ensemble en une sorte d’objet syncrétique afin de donner du grain identificatoire à tout le monde. Quant aux affreux Harkonnen, avec leurs crânes rasés, leurs mines patibulaires, leur uniformes noirs dignes d’un groupe de death metal, leur brutalité et leur cynisme, ils évoquent autant les nazis que le régime de Vladimir Poutine.

Dune 2 offre une vraie proposition esthétique pour un space opéra.

Dune 2, c’est aussi, et peut-être avant tout, une débauche de créativité à tous les postes : costumes, décors, objets, accessoires, photo, tout attrape l’œil. Ce n’est pas sans risque. S’il n’y avait la puissance des batailles et la tension des enjeux, le film pourrait parfois prendre les allures d’un exotisme chic, d’un défilé de mode et de design, voire si on était vraiment sévère, d’une pub luxueuse pour parfum. Malgré cette imagerie subliminale, Dune 2 offre quand même une vraie proposition esthétique pour un space opéra, toute une gamme chromatique d’ocres, de beiges et de grèges, les espaces somptueux du désert, un vol d’hélicoptères dans le soleil qui rappelle la chevauchée des Walkyries de Coppola, ou encore ces séquences où Villeneuve passe subitement des couleurs chaudes des Fremen au noir et blanc métallique des affreux Harkonnen. Le tout sans cesse rehaussé par la musique grandiose (frisant le grandiloquent) de Hans Zimmer. Si le scénario brasse tous les mythes, la fresque esthétique de Villeneuve amalgame toute l’histoire des films à grand spectacle du péplum au space opéra en passant par le western et le film de guerre, distillant ses réminiscences de Ben Hur, Lawrence d’Arabie, Gladiator, La Guerre des étoiles, Apocalypse now

Puisque l’on évoque les grands films spectaculaires digérés par Villeneuve, on a envie de terminer en jouant Dune 2 face à un autre film du genre space opéra encore à l’affiche : L’Empire de Bruno Dumont, qui se passe aussi dans les dunes – celles plus modestes du Pas-de-Calais. On pourrait facilement pointer quelques ressemblances entre les deux films : un affrontement physique et métaphysique entre bien et mal, avec d’un côté Paul Atréides/Timothée Chalamet et Anna-Maria Vartolomei représentant les lumières, de l’autre les Harkonnen et Fabrice Luchini/Belzébuth champions des ténèbres. Il y a aussi des différences pas minces, qui sont celles entre le cinéma français et le cinéma hollywoodien : L’Empire a coûté 7 millions d’euros, Dune 2 190 millions de dollars. Cette différence de force de frappe est un symbole cruel au moment où les Etats-Unis sont en train de lâcher l’Ukraine et l’Europe. Le geste de Dumont est certainement plus original, plus audacieux, plus libre, plus foutraque, plus transgressif, celui de Villeneuve étant du côté de la puissance et du perfectionnisme à gros moyens. C’est un peu comme si l’on comparait d’un côté une bizarre voiture hybride assemblant une Mercédès et une 2CV avec de l’autre côté une Rolls luxueuse dans tous les détails. La Mercédès-2CV a plus de charme et de singularité mais le voyage en Rolls est un plaisir de cinéma premium qui ne se refuse pas.


Serge Kaganski

Journaliste, Critique de cinéma

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