Jeux d’artifices – sur La Mère de tous les mensonges d’Asmae El Moudir
Pour vérifier si le nouvel appareil auditif de sa grand-mère fonctionne, la cinéaste Asmae El Moudir lui chuchote à l’oreille une phrase à dessein provocatrice : « Pourquoi n’aimes-tu pas les photos, grand-mère ? ». L’aïeule a en effet depuis toujours interdit les images dans la maison qu’elle régente tel un monarque.

À l’exception de celle du véritable roi du Maroc, Hassan II, dont un portrait est accroché au mur. Cette scène du quotidien qui ouvre La Mère de tous les mensonges révèle les différentes strates de son projet.
Il s’agira de questionner l’écoute et la trace du souvenir dans ce premier long métrage documentaire qui a connu tous les honneurs depuis sa première à Cannes. Récompensé en mai par le Prix de la Mise en Scène d’Un Certain Regard et par l’Œil d’or, il a également reçu l’Étalon d’or au Festival International du Film de Marrakech en décembre 2023, et a représenté le Maroc dans la course aux Oscars. Pour recueillir la parole, sa méthode consistera à opposer aux cris et au regard menaçant de la vieille femme le murmure de la jeune cinéaste.
Plus tard, quand celle-ci montre à sa famille et ses voisins des photos d’enfants, tous peineront à la reconnaître, se plaindront de mal distinguer ce qui se cache au fond de l’image. Chacun percevra à sa façon les signes du passé. Les mots que la cinéaste recherche, ce sont ceux, tus depuis des décennies, des massacres ordonnés par le roi au cours de manifestations qui se sont élevées le 20 juin 1981 à Casablanca pour protester contre l’augmentation du prix de la farine. La répression violente de cette révolte du pain a causé d’incalculables morts, dont les corps ont immédiatement été confisqués par l’armée puis jetés dans les heures suivantes dans des fosses communes.
De la brutalité de cette journée funeste, le film n’a qu’une unique image à nous dévoiler : une photo en noir et blanc d’une rue jonchée de quelques corps inertes devant des habitants statiques, comme incrédules. Puisque la mémoire