Théâtre

La confusion des corps – sur L’Âge de détruire de Pauline Peyrade et Justine Berthillot

Philosophe

La libération de la parole semble un processus déjà bien entamé en littérature, assumant l’urgence du besoin de dire et penser les violences sexuelles infligées aux enfants, au point que se pose de plus en plus la question des formes de cette énonciation. Pauline Peyrade, prix Goncourt du premier roman pour L’Âge de détruire – récit de l’inceste d’une mère du point de vue de la victime – reprend son texte pour l’adapter sur scène avec la circassienne Justine Berthillot.

Les écritures de l’inceste intergénérationnel ou portant sur des violences à caractère sexuel occupent actuellement une place importante dans le champ de la littérature, probablement favorisée par l’accélération du déliement de la parole encouragée par la vague MeToo. Si Christine Angot a précédé cet élan et d’une certaine manière a contribué à encourager ces récits, d’autres ont récemment suivi.

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Pour les plus connus pensons par exemple aux livres de Camille Kouchner, Vanessa Springora, ou Neige Sinno. Bien que crimes absolus et tabous ultimes, l’inceste et les violences sexuelles apparentées ne sont pas des angles morts de la littérature, en revanche les formes d’énonciation par les victimes des épreuves traversées reste un champ à défricher.

Ces écritures sont aussi présentes sur les scènes contemporaines. En 2008, à une époque où le sujet était encore relativement peu abordé, sinon sous forme de faits divers relayés par la presse, le metteur en scène Romeo Castellucci traitait de l’inceste dans son Purgatorio, deuxième volet d’une trilogie inspirée de La Divine Comédie de Dante. Ce spectacle ne cherchait pas à « dire l’inceste » mais plutôt à le représenter dans son effectivité même en s’appuyant, avec une cruauté assumée, sur les pouvoirs imageants des spectateurs.

Au cours d’un spectacle sous tension, la scène du viol du fils par le père s’était tenue hors-scène. Celle-ci était traduite par des sons insoutenables (halètements, souffles, gémissements, paroles, pleurs) : aux spectateurs, rendus producteurs des images de l’enfer, de lui donner forme. C’est aujourd’hui principalement à travers les mots que l’on voit apparaître la question de l’inceste sur scène. À la MC93 en 2020, Sébastien Derrey monte Mauvaise de la dramaturge debbie tucker green [sic], où la fille aînée décide de dire ce qu’il s’est passé et demande des comptes à sa famille.

En 2023, Stanislas Nordey a mis en scène le roman de Christine Angot Le Voyage dans l’Est, où l’auteure revient


[1] Le Voyage dans l’Est, roman de Christine Angot, mis en scène par Stanislas Nordey, sera diffusé du 1er au 15 mars 2024 au Théâtre des Amandiers.

[2] Le Consentement de Vanessa Springora mis en scène par Sébastien Davis, sera diffusé au Théâtre du Rond-Point à Paris du 7 mars au 6 avril 2024.

[3] Norma[le] de Norma est à l’affiche du Théâtre du Marais jusqu’au 27 mars.

[4] Voir Elise Marsicano, Nathalie Bajos, Jeanna-eve Pousson, « Violences sexuelles durant l’enfance et l’adolescence : des agressions familiales dont on parle peu », Populations et sociétés, n° 612, juin 2023 : « [L]es violences contre les jeunes filles par un membre de la famille sont commises dans 96,5 % des cas par un homme ; ce chiffre est de 89,7 % pour les jeunes garçons (Annexe en ligne A.2). »

[5] Pauline Peyrade, L’Âge de détruire, Paris, Les Éditions de Minuit, 2023, p. 22-23.

[6] Michel Foucault, Histoire de la sexualité, tome 1, Paris, Gallimard, 1976, p. 111.

[7] Sur ces questions, on pourra se reporter aux ouvrages suivants : Dorothée Dussy, Le Berceau des dominations, Éditions la Discussion, 2013 et (dir.) L’inceste, bilan des savoirs, Éditions la Discussion, 2013 ; Anne-Emmanuelle Demartini (dir.), « Dire l’inceste », revue Sociétés et représentations, Paris, Éditions de la Sorbonne, n° 42, 2016 ; Fabienne Guiliani, Les liaisons interdites. Histoire de l’inceste au XIXe siècle, Paris, Publications de la Sorbonne, 2014.

Rachel Rajalu

Philosophe, Enseignante à l'École supérieur d'art et de design TALM-Le Mans

Notes

[1] Le Voyage dans l’Est, roman de Christine Angot, mis en scène par Stanislas Nordey, sera diffusé du 1er au 15 mars 2024 au Théâtre des Amandiers.

[2] Le Consentement de Vanessa Springora mis en scène par Sébastien Davis, sera diffusé au Théâtre du Rond-Point à Paris du 7 mars au 6 avril 2024.

[3] Norma[le] de Norma est à l’affiche du Théâtre du Marais jusqu’au 27 mars.

[4] Voir Elise Marsicano, Nathalie Bajos, Jeanna-eve Pousson, « Violences sexuelles durant l’enfance et l’adolescence : des agressions familiales dont on parle peu », Populations et sociétés, n° 612, juin 2023 : « [L]es violences contre les jeunes filles par un membre de la famille sont commises dans 96,5 % des cas par un homme ; ce chiffre est de 89,7 % pour les jeunes garçons (Annexe en ligne A.2). »

[5] Pauline Peyrade, L’Âge de détruire, Paris, Les Éditions de Minuit, 2023, p. 22-23.

[6] Michel Foucault, Histoire de la sexualité, tome 1, Paris, Gallimard, 1976, p. 111.

[7] Sur ces questions, on pourra se reporter aux ouvrages suivants : Dorothée Dussy, Le Berceau des dominations, Éditions la Discussion, 2013 et (dir.) L’inceste, bilan des savoirs, Éditions la Discussion, 2013 ; Anne-Emmanuelle Demartini (dir.), « Dire l’inceste », revue Sociétés et représentations, Paris, Éditions de la Sorbonne, n° 42, 2016 ; Fabienne Guiliani, Les liaisons interdites. Histoire de l’inceste au XIXe siècle, Paris, Publications de la Sorbonne, 2014.