Littérature

Persistance rétinienne – sur Châtiment de Percival Everett

Critique

En 1955, l’adolescent afro-américain Emmett Till était lynché à mort. Sa mère voulut que son cercueil fût exposé ouvert, afin que tout le monde constate le martyre de son fils. L’auteur d’Effacement et de Pas Sidney Poitier fait revenir cette image accusatrice dans un thriller grotesque où la littérature tente, par le rire et la colère, de remédier à la bêtise humaine.

C’est un roman drôle tout du long, mais peut-être n’atteint-on vraiment le fou rire que dix pages avant la fin, quand Everett imagine un discours de Donald Trump aussi décousu que nature, avec saillies racistes et paranoïdes, rodomontades creuses : « Est-ce que ce n’est pas terrible, la façon dont on me traite ?

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Le président du pays entier après la plus grande victoire de tous les temps, et pas de collusion. Pas de collusion, rien. Et pas d’obstruction. Mais je l’ai dit, et je le dis depuis un moment, c’est les Noirs qui doivent nous préoccuper, et apparemment, les Chinois et les Indiens, mais le truc, c’est qu’ils ne sont pas blancs comme les Américains sont censés l’être. »

C’est un peu bête de citer car ce n’est pas si comique en extrait, évidemment, l’effet zygomatique n’arrive qu’à force d’accumulation – un principe qui régit l’ensemble du livre. Au début il y a un meurtre, puis deux, puis trois, dans la ville de Money dans le Mississippi. À la fin, il y en a des dizaines un peu partout en Amérique, aussi irrépressibles que des pop-ups sur l’écran d’un site porno. Et tous procèdent selon la même mise en scène.

Money, c’est là qu’Emmett Till, un Afro-Américain de 14 ans, fut lynché à mort en 1955 suite aux accusations d’une certaine Carolyn Bryant, qui devient « Mamie C » dans Châtiment : la·e lecteur·ice sait donc dès le deuxième paragraphe (« C’était la maison de Wheat Bryant… ») dans quel cadre historique on se trouve. Les deux premiers assassinés sont des Blancs de la famille Bryant, qu’on retrouve énucléés, égorgés par du fil de fer barbelé et châtrés, leurs testicules se trouvant cependant non loin : dans la main d’un cadavre noir défiguré. Lequel disparaît puis réapparaît au second meurtre (ensuite, les autorités prennent leur précautions pour le serrer au frais). Pour la troisième scène de crime, un second cadavre afro-américain se présente. Emmett Till, si on l’ignore, fut retrouvé le visage mutilé, avec du barbelé autour du cou et émasculé.

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Éric Loret

Critique, Journaliste