Littérature

Les années fatwa – sur Le Couteau de Salman Rushdie

Écrivain

Le 12 août 2022 à 10h45, Salman Rushdie est visé par une attaque au couteau alors même qu’il donne une conférence sur les villes-refuges aux États-Unis. Il perd un œil et l’usage d’une main. Le Couteau n’est pas une confession mais la mise à distance d’un évènement violent. Un texte augural.

Ce serait l’histoire d’un homme qui voulait raconter la tentative d’assassinat dont il a été victime et qui a écrit un roman d’amour. Ou bien, ce serait l’histoire d’un homme qui essaie de raconter une histoire d’amour et qui est sans cesse interrompu par des évènements imprévisibles ; on pense bien sûr à Jacques le fataliste, le personnage de Diderot dont les tentatives répétées de raconter son histoire d’amour se heurtent constamment à des empêchements ; blessé par un cheval, réduit au silence par un mal de gorge, envoyé en prison, suspendu par la nuit ou les intempéries, son récit est sans cesse interrompu. Cette histoire d’amour dont le récit est sans cesse remis à plus tard pourrait servir de prisme au livre de Salman Rushdie, Le Couteau, Réflexions à la suite d’une tentative d’assassinat.

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Si Rushdie cite à plusieurs reprises dans son livre Candide de Voltaire pour se moquer de son propre optimisme face aux horreurs du monde, (« ma grande faiblesse ou ma grande force ») c’est au roman de Diderot que son récit fait penser par structure, ses formes, son art de la digression, sa forme de pensée par association d’idées, et surtout par cette auto-ironie qui colore tout ce qui lui arrive, les évènements tragiques comme les épisodes drôles, les moments heureux et malheureux de sa vie, – terreur et joie, damnation et rémission, et qui font de ce livre de la maturité, « un récit doublé d’enfance » selon la formule de Witold Gombrowicz, comme si l’assassin n’avait pas réussi à tuer l’homme adulte de 78 ans, mais fait renaître en lui l’esprit de merveilleux, l’esprit d’enfance, qui animait par exemple son récit Haroun et la mer des histoires écrit pour son fils tout de suite après sa condamnation à mort par l’ayatollah Khomeini.

Après l’agression, son corps ensanglanté s’est élevé dans un hélicoptère, « tel un ange de vie » comme arraché aux griffes de son tueur, emporté en direction d’un hôpital où il sera soigné pendant des semaines. « Notre bonheur pourrait-i


Christian Salmon

Écrivain, Ex-chercheur au CRAL (CNRS-EHESS)

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