Cinéma

Cannes 2024 : un palmarès choc et chips, un Festival émietté

Journaliste

Placée d’emblée sous l’injonction comminatoire « pas de polémiques », la 77e édition du Festival International du Film s’est terminée avec un palmarès qui en souligne certaines dérives, qui sont surtout celles, très inquiétantes, de la place actuelle de la culture. Ce qui n’empêche pas qu’il a été aussi possible du 14 au 25 mai de découvrir de bien belles propositions de cinéma.

En découvrant le 25 mai au soir le palmarès de la 77e édition du Festival de Cannes[1], revenait en mémoire l’explication qu’en avait donné par avance l’auteur d’un des rares grands films présentés cette année sur la Croisette, nul autre que Francis Ford Coppola. Réfléchissant à haute voix au rejet violent de Megalopolis, œuvre immense à la complexité et à l’auto-ironie assumées, il observait : « Lorsque vous mangez une chips, savez-vous que des gens ont dépensé des millions de dollars sur le dosage de sel, de sucre… ? Pas pour que la chips soit bonne, non, mais bien pour que vous continuiez à en manger beaucoup d’autres. Quand vous mangez un burger qui vient de chez McDonald’s, c’est la même chose. Ils dépensent beaucoup d’argent. Pas pour que vous ayez quelque chose de nutritionnellement bon, mais pour que vous retrouviez un goût connu. C’est exactement la même chose avec les films… »[2] Greta Gerwig et son jury ont, pour l’essentiel, récompensé un tas de chips.

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On dira que la réalisatrice indienne Payal Kapadia et son confrère portugais Miguel Gomes ont aussi été primés, pour des films réellement singuliers. C’est vrai et il y a lieu de s’en réjouir tant All We Imagine as Light, construit autour du parcours de trois femmes  confrontées à différentes formes de solitude, et Grand Tour, rêve hypnotique jouant avec les codes de l’orientalisme pour une parabole décoloniale et féministe, activent les puissances du cinéma entièrement en dehors du formatage dénoncé par l’auteur d’Apocalypse Now. Pour le reste, le jury aura donc récompensé des produits conçus pour « retrouver un goût connu ». Ce goût est celui d’une sauce à l’américaine, comme aurait dit Jacques Tati.

Et de fait, hormis les deux titres déjà cités, les films récompensés sont tous des films américains. Même si cela ne se voit pas du premier coup.

L’emprise d’une « idée américaine du cinéma »

C’est à l’évidence le cas de la Palme d’or, Anora de Sean Baker, petit film indé en forme de conte de fée o


[1] Le Palmarès : Palme d’or : Anora de Sean Baker. Grand Prix : All We Imagine as Light de Payal Kapadia. Prix de la mise en scene : Grand Tour de Miguel Gomes. Prix du jury : Emilia Perez de Jacques Audiard. Prix d’interprétation féminine : Selena Gomez, Karla Sofia Gascon, Zoe Saldaña, Adriana Paz dans Emilia Gomez. Prix d’interprétation masculine : Jesse Plemons dans Kinds of Kindness de Yorgos Lanthinos. Prix du scénario : The Substance de Coralie Fargeat. Prix spécial à Mohammad Rasoulof pour Les Graines du figuier sauvage.

[2] Extrait d’un entretien sur un des talk shows people du «service public», reproduit ici de manière un peu plus développée par un magazine : https://www.vanityfair.fr/article/megalopolis-francis-ford-coppola-repond-aux-critiques-qui-ont-assassine-son-film

[3] https://souslesecransladeche.wordpress.com/

[4] Lire aussi l’entretien avec le cinéaste paru sur AOC : https://aoc.media/entretien/2024/05/17/jia-zhang-ke-il-existe-en-chine-un-puissant-courant-negationniste/

 

Jean-Michel Frodon

Journaliste, Critique de cinéma et professeur associé à Sciences Po

Rayonnages

Cinéma Culture

Notes

[1] Le Palmarès : Palme d’or : Anora de Sean Baker. Grand Prix : All We Imagine as Light de Payal Kapadia. Prix de la mise en scene : Grand Tour de Miguel Gomes. Prix du jury : Emilia Perez de Jacques Audiard. Prix d’interprétation féminine : Selena Gomez, Karla Sofia Gascon, Zoe Saldaña, Adriana Paz dans Emilia Gomez. Prix d’interprétation masculine : Jesse Plemons dans Kinds of Kindness de Yorgos Lanthinos. Prix du scénario : The Substance de Coralie Fargeat. Prix spécial à Mohammad Rasoulof pour Les Graines du figuier sauvage.

[2] Extrait d’un entretien sur un des talk shows people du «service public», reproduit ici de manière un peu plus développée par un magazine : https://www.vanityfair.fr/article/megalopolis-francis-ford-coppola-repond-aux-critiques-qui-ont-assassine-son-film

[3] https://souslesecransladeche.wordpress.com/

[4] Lire aussi l’entretien avec le cinéaste paru sur AOC : https://aoc.media/entretien/2024/05/17/jia-zhang-ke-il-existe-en-chine-un-puissant-courant-negationniste/