Littérature

Dans la maison vide – sur La fortune de Catherine Safonoff

Critique

L’autrice de La distance de fuite emmène sa narratrice autofictive sur les bords de la vieillesse : mise hors de chez elle par son premier mari qui lui prêtait une maison, la voilà dans la ferme de leur fille, battant la campagne et les souvenirs. Un texte sur l’inhospitalité de l’âge en forme de « lettre aux siens ».

Devenir vieille, devenir vieux. Voilà un projet raisonnable, facile et à la portée de chacun, mais auquel la plupart d’entre nous rechigne généralement. Ils ne sont pas si nombreux non plus, les écrivaines et écrivains à nous faire profiter de leur expérience du vieillir. En général, ils préfèrent continuer leurs petits tours poétiques, les concentrer, devenir toute littérature, même si y affleure in fine l’expérience du désassemblement. Par exemple Leiris, à 87 ans dans À cor et à cri (1988), réduit en éclats de lui-même, au milieu rumoral des « soubassements du monde » ; ou Duras signant un C’est tout (1995) en miettes où elle explique à Yann Andréa qui lui demande ce que « fait Duras » : « Elle fait la Littérature ».

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Une autre forme de livre de vieillard insiste sur la détresse et l’approche de la camuse, sans livrer toutefois la corde pour se pendre : La cérémonie des adieux (1981) de Simone de Beauvoir raconte les dernières années de Sartre, parfois atteint de délire et déclarant à une amie : « Toi aussi tu es morte, petite. Comment ça t’a fait d’être incinérée ? Enfin, nous voilà tous les deux morts, maintenant. » Le texte, perçu comme sacrilège, fit scandale en son temps. On pense aussi à la Lettre à D. (2006) d’André Gorz qui décrit la maladie de son épouse et s’achève sur ces mots : « Nous aimerions chacun ne pas avoir à survivre à la mort de l’autre. Nous nous sommes souvent dit que si, par impossible, nous avions une seconde vie, nous voudrions la passer ensemble. » Ils se suicident l’année suivante.

Et puis il y a l’autobiographie stoïque, apaisée, du vieillissement. Cette fois, c’est plutôt Colette qu’on pourrait convoquer. On la trouve à la page 144 de la Fortune de Catherine Safonoff : « Je remontais vers la maison, me réjouissais de revoir Mélie ou de l’attendre. La plus haute des deux collines était devenue bleu noir, une masse de nuit surplombant la mer. Au-dessus, une seule étoile très brillante, l’étoile Vesper, disais-je à Mélie. En vé


[1] Sauf à considérer que la lucidité, déjà souvent symptôme de dépression, soit aussi une forme de trouble cognitif, hypothèse séduisante pour le capitalocène.

Éric Loret

Critique, Journaliste

Rayonnages

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Notes

[1] Sauf à considérer que la lucidité, déjà souvent symptôme de dépression, soit aussi une forme de trouble cognitif, hypothèse séduisante pour le capitalocène.