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Spectateur nocturne – sur Journal intime d’un maître-chanteur de Philippe Vasset

Écrivain

L’air de rien, Philippe Vasset est l’un des plus passionnants écrivains d’aujourd’hui, qui expérimente de livre en livre des formes originales pour interroger le monde contemporain et inventer une espèce de réalisme virtuel ironique et virtuose. Son Journal intime d’un maître-chanteur en témoigne à nouveau, qui interroge l’actualité de la très vieille activité de « corbeau » à l’heure des réseaux sociaux, dans une sorte de fiction documentaire qui finit par mettre la littérature elle-même en abyme.

Philippe Vasset est un drôle de type qui écrit de drôles de livres. Avouons-le, nous n’avons jamais très bien compris la nature précise de ses occupations professionnelles, dont on déduit qu’elles ont trait aux « renseignements » sous différentes formes, mais sans savoir exactement à quoi cela peut bien correspondre en réalité. Rédacteur en chef de publications aussi sémillantes qu’Intelligence Online ou Africa Energy Intelligence, serait-il une sorte de journaliste-espion, expert en géopolitique dématérialisée ? Et tout cela est-il vraiment sérieux ?

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Ce qui est sûr, en tout cas, c’est que cet écrivain aux allures d’éternel adolescent est un formidable observateur et analyste ironique de ce qu’on peut appeler le fonctionnement du monde, scrutateur des rouages d’une espèce de mécanique générale à laquelle notre œil n’est pas forcément attentif, où se mêlent technologie informatique, surveillance numérique et autres joyeusetés virtuelles.

Le plus étonnant est que cette dimension presque documentaire (et un peu geek) trouve volontiers à s’exprimer dans des livres qui peuvent être à la fois drôles et poétiques, à leur façon : c’était le cas par exemple d’Un livre blanc (Fayard, 2007), un roman déjà ancien mais spécialement marquant, où l’auteur s’intéressait aux zones oubliées, échappées des radars, absentes du relevé standard des plans et cadastres… Si l’on cite ce livre en particulier, c’est pour le fort souvenir qu’on en a, mais aussi parce qu’il peut d’une certaine façon servir à résumer l’esprit de la démarche de Vasset : repérer les espaces négligés du recensement numérique généralisé, avoir l’imagination ouverte aux vides, traquer des recoins libres encore possibles dans un ordre saturé.

Cette espèce de quête, assez maniaque mais volontiers teintée d’humour, constitue à chaque fois un formidable moteur narratif, et c’est le cas à nouveau pour le Journal intime d’un maître-chanteur, qui semble s’inscrire dans une série où ont déjà paru le Journal intime


Fabrice Gabriel

Écrivain, Critique littéraire

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