Littérature

Les Damnés – sur Personne morale de Justine Augier

critique

Personne morale, récit littéraire, porte sur l’affaire du cimentier Lafarge mis en examen pour ses collusions avec Daech en Syrie. Sans user de grands mots, Justine Augier livre des faits, des rapports d’enquête, les voix et les langues des protagonistes. Les personnes vraiment morales, ce sont les trois femmes juristes qui ont constitué le dossier dans l’adversité. Et ce dossier, le voilà documenté.

Le titre du dernier récit de Justine Augier, Personne morale, peut difficilement laisser indifférent. Même aux lecteurs ignorant le droit, l’expression « personne morale » évoque une notion connue mais curieuse, qui assimile l’entreprise à une personne et lui attribue une responsabilité au sens fort, moral.

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Voilà qui intrigue, et voilà qui donne une portée exceptionnelle à ce récit qui revient sur une histoire récente : les sombres liens noués par la société de ciment Lafarge avec les chefs de Daech en Syrie ; la collusion entre une entreprise de construction et une entreprise de destruction, les deux termes se rejoignant comme si leur antinomie disparaissait. Mais Personne morale n’est ni un précis, ni un traité, ni un essai, ni un réquisitoire. C’est un récit littéraire.

Il va de soi que beaucoup s’interrogeront sur ce qualificatif que Justine Augier justifie en exergue. Elle est soutenue par son éditeur, Bertrand Py, qui signe la présentation de cette rentrée d’Actes Sud ; nous le mentionnons pour saluer son travail et son intuition. Quant à la question de la frontière entre fiction et non-fiction, elle se pose souvent, elle donne lieu à de savants développements, mais elle n’est pas toujours pertinente et elle est bien moins neuve qu’on ne le pense.

Pour nous elle est l’occasion de souligner une qualité majeure de Personne morale : son rythme, sa forme effilée, fuselée, son écriture sobre, sans effets, qui pourtant ne cesse de réfléchir et de déranger. Le livre s’ouvre en toute modestie, dans la torpeur de l’été parisien et dans un bureau de la rue Saint-Lazare, au bout d’un couloir. Ce mot, couloir, pourrait servir d’image de ce qui se met alors en place : l’histoire d’une longue dérive, d’une série de paraphes, de réactions et de décisions prises parce qu’ainsi va la croissance, le développement, l’extension, la mondialisation… l’hubris.

Le récit est écrit au présent mais bascule régulièrement au futur, une légère altération qui renforce l’impression


Cécile Dutheil de la Rochère

critique, éditrice et traductrice

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