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Écrire le monde aux arrêts – sur Zone Base Vie et La Lettre absente de Gwenaëlle Aubry

Écrivain

Comment revenir du confinement sans en ignorer la mémoire, sans en gommer l’effet dans nos vies plutôt que d’en apprendre sur la vie commune ? C’est la question qu’ouvre Zone Base Vie, roman situé entre le 16 mars 2020 et le 21 juin 2021, et où, de chapitre en chapitre et de voix en voix, on grimpe d’étage en étage au 11 bis de la rue Winckler. « En revenir », articuler vie ordinaire et expérience de la littérature, c’est aussi l’objet de La Lettre absente, recueil d’essais qui éclaire le roman – et réciproquement.

«J’écris parce que je ne veux pas raconter ma propre histoire, parce que j’ai besoin pour la dire de la diffracter en une multiplicité d’autres récits et d’autres voix. Nous abritons tous ce multiple et ces voix mais écrire, c’est leur faire droit, les laisser entrer dans la chambre calfeutrée (…). Le lieu à soi depuis lequel on travaille n’est pas une chambre intime mais un espace du dedans, et cet intérieur déborde l’intime qui le cloisonne », peut-on lire dans La Lettre absente, le très stimulant recueil d’interventions publiques qui inaugure début septembre le catalogue des Éditions du Nid-de-pie, et que Gwenaëlle Aubry publie donc conjointement au roman du confinement (et du déconfinement) qu’est Zone Base Vie, dont il éclaire bien des enjeux fondamentaux

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Ce recueil de textes de circonstances, qui se tient parfois sur une ligne de crête entre littérature et philosophie (Gwenaëlle Aubry est par ailleurs directrice de recherches en philosophie au CNRS, spécialiste reconnue de l’œuvre de Plotin), témoigne d’un désir constant de transmettre une confiance profonde en la littérature : qu’elle lise ou qu’elle écrive, Gwenaëlle Aubry lui demande beaucoup, à la littérature. L’exigence et l’ambition qui en résultent sont motrices d’incessantes remises en jeu des formes littéraires dans le but ou l’espoir de ressourcer, de renouveler peut-être, la connaissance sensible des êtres et du monde que promet le roman lorsqu’il parvient à articuler la poésie, à rebours hélas des produits de consommation culturelle que privilégie l’édition contemporaine.

À sa manière, cette citation s’imposait ici, tant elle touche au thème central de Zone Base Vie : moins le confinement lui-même que la sidération tout à la fois collective et incommunicable qu’il a provoquée – et la difficulté d’en « revenir ».

Écrire, ce serait en somme déconfiner la vie intérieure, et pour ce faire, ce pourrait être abattre les cloisons qui protègent mais réduisent le champ de perception et d’intellige


Bertrand Leclair

Écrivain, Critique littéraire

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