Littérature

Comment vivre ensemble – sur Un désir démesuré d’amitié d’Hélène Giannecchini

Critique

Plongeant dans diverses archives lesbiennes et plus généralement queer, la chercheure et écrivaine Hélène Giannecchini propose, face à la famille hétéronormée, d’imaginer de nouvelles filiations, de découvrir des généalogies insoupçonnées et, puisque sa narration dépasse le cadre LGBTQI+, « d’inventer de nouvelles formes de vie » sous l’aspect d’une « amitié » aux possibles augmentés.

Le sujet : « les histoires de famille portent bien leur nom : elles sont des fictions auxquelles nous choisissons de croire. » Mais quand on voit la façon dont la famille biologique traite parfois ses membres LGBTQI+, on est tenté de s’inventer d’autres familles, d’autres histoires, de faire parenté, parentèle, de prendre sa part autrement : « Ce que m’enseigne la crise du VIH/sida, écrit Giannecchini, c’est que les vies homosexuelles, et par conséquent la mienne, comptent moins. Je me suis promis de ne jamais l’oublier. »

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L’amitié est alors une façon alternative de choisir une famille. Mais l’amitié queer ne peut cependant ignorer, estime l’autrice, la question de la généalogie à l’œuvre dans celle de la famille. Elle part donc à la recherche, avec ce livre, de filiations artistiques et théoriques.

Le genre est la non-fiction narrative. C’est-à-dire avec un peu d’autofiction dedans : une narratrice qui parle de ses amies, de la mort de son père, de la meilleure manière de construire un abri à moutons, de la lumière du soleil sur la table de travail. Mais en fait, non, pas d’autofiction, puisque la croyance au récit n’est pas en jeu. Plutôt une auto non-fiction de tout le monde ?

Ce qui frappe à l’orée de ce Désir démesuré d’amitié (et il vaut mieux, en effet, ne pas mesurer l’amitié, sinon elle marche moins bien), c’est que – comme nombre d’auteur·ices de sa génération – Hélène Giannecchini, 37 ans, écrit en « nous » plutôt qu’en « je », qu’elle retrace un travail collectif : « nous répétons la phrase “un désir démesuré d’amitié”, elle nous plaît et pourrait être la devise de notre séjour. Toutes nous accordons une place de premier plan à l’amitié, elle est l’un des principes organisateurs de nos existences. À aucun moment nous ne nous demandons pourquoi un monument à la mémoire des personnes homosexuelles opprimées parle d’amitié. » Elles sont quatre, peu différenciées à ce moment du texte sinon par leurs prénoms, déambulant dans Amsterdam jusqu’à l’Homo


Éric Loret

Critique, Journaliste

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