Qu’est-ce qu’un livre magnifique ? – sur Sans savoir où la luge s’arrêtera de Bernard Chambaz
La littérature du deuil représente quasiment un genre à part, et, en dépit de la diversité de ses formes (confessions, journaux, poèmes, aphorismes, romans, performances, etc.), elle délimite un vaste corpus, de Stéphane Mallarmé, Victor Hugo, Philippe Forest ou Camille Laurens (mort d’un enfant) à Roland Barthes (mort d’une mère), Michel Deguy, Brigitte Giraud ou Jacques Roubaud (mort de l’être aimé.e). Je me permets d’y inclure La Première Année qui me fut une singulière, puissante et inédite expérience d’écriture (et de vie) depuis l’intérieur de la fournaise (ou de la banquise).

Par deuil, il faut entendre cette période de latence au cours de laquelle la douleur de la perte nécrose le quotidien du ou de la survivant.e, période de vide et de flottement, de fragmentation du réel, parfois d’intense souffrance, jusqu’à la cicatrisation dont la perspective n’est paradoxalement pas toujours une consolation.
Dresser la littérature contre la mort qui approche, puis contre la mort qui frappe, tranche, anéantit, ravage, enfin contre la mort qui s’éloigne sans bruit après avoir tout fracassé, comme une armée de mercenaires, et nous laisse pour mort, mais en vie, en vie à mort, dans le temps arrêté d’une explosante fixe, voilà bien la seule « arme », le seul outil (de réparation, de connaissance) dont dispose l’écrivain. C’est-à-dire, pour reprendre la belle définition que donne Paul Valéry de la littérature, « une sorte d’extension et d’application de certaines propriétés du langage ». Extension, application, propriétés du langage contre la catastrophe, superposées à l’emprise de la mort.
Il n’est nul besoin de redire ici la violence de ce quelque chose qui demeure à jamais un mystère ni l’étrange situation de se sentir pris en tenaille entre l’exceptionnalité d’une expérience individuelle considérable et la grande banalité de cet universel – puisque nous allons tous mourir. Et qu’avant de mourir, tous nous avons été, sommes ou serons probablement confrontés à l’