Littérature

L’esprit des Noëls qui ne passent pas – sur Les Sentiers de neige de Kev Lambert

Critique

Tour de force stylistique de quatre cents pages, le quatrième roman du Québecois de 32 ans explore la psyché d’un enfant queer et de sa cousine racisée en nous emmenant dans des tunnels aussi drôles qu’effrayants. Un conte de Noël où l’on croise une créature issue du jeu vidéo Zelda et des touffes de poils sous les bras.

Les Sentiers de neige est un livre de famille qui commence l’avant-veille de Noël et se termine en janvier. Conte d’hiver en est le sous-titre. Les héros sont deux enfants de huit et neuf ans, Zoey, au premier plan, et, au second, Émie-Anne, sa cousine. Les fêtes sont lourdes, les adultes affreux, on a l’impression en le lisant d’être Danny dans The Shining, qui fonce au volant de son tricycle dans les couloirs de l’hôtel Overlook.

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Il y a une apparition que Zoey appelle Skyd, abréviation de « Skull Kid » : Lambert a expliqué en interview que son roman est construit comme le jeu vidéo Zelda, en une sorte d’entonnoir effrayant où la descente vaut pour apprentissage. Et de fait, l’écrivain n’a pas lésiné sur les tunnels secrets dans les cervelles d’Émie et Zoey (au risque de rendre le voyage un peu longuet).

Skyd est une « créature démoniaque, hantée par un masque maudit », qui évoque pour le héros « une terreur familière, un point de douleur, comme un couteau retiré de sa gorge. Zoey voyait pour la première fois quelque chose qu’il portait en lui – un vide, une douleur, une cicatrice possèdent la même énergie, la même apparence que Skyd ». Ce sera à la fois un double de l’enfant et un guide dans la connaissance qu’il a de lui-même. Le masque devra être arraché, le souvenir du traumatisme déterré. Dans The Shining, Danny a des dons médiumniques. Le sous-titre québécois est d’ailleurs L’Enfant lumière. Fermeture de la parenthèse kubrickienne.

Où a-t-on déjà vu des histoires de veille de Noël avec des esprits dedans ? Partout dans le monde anglo-saxon, plutôt que dans la littérature francophone. Le film The Nightmare Before Christmas (1993) de Selick et Burton, par exemple. Ou encore le modèle primitif A Christmas Carol in Prose (1843) de Charles Dickens, à qui les historiens imputent les rassemblements familiaux du soir de Noël et qui s’ouvre par cette phrase intraduisible : « Marley was dead : to begin with. » Celui qui disparaît, au début de Sentiers de neig


Éric Loret

Critique, Journaliste

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