Estuaire – sur Saint-Nazaire est un roman sans fiction de Patrick Deville
La dernière fois que nous sommes allés à Saint-Nazaire, c’était dans un livre : le très beau N’oublie rien de Jean-Pierre Martin, qui revenait sur son expérience de jeune militant établi sur les chantiers navals, au début des années 1970. C’était donc dans le passé, un passé devenu presque mythique et pourtant bien réel, encore présent et que l’on retrouve de même, comme multiplié, dans le nouveau livre de Patrick Deville : Saint-Nazaire est un roman sans fiction.

Voilà un drôle de petit livre, en vérité, un peu dans la marge de l’œuvre générale d’un écrivain dont on connaît le projet gigantesque, malicieusement intitulé Abracadabra, de couvrir la planète, le temps d’un double tour du monde, d’ouest en est puis d’est en ouest, en douze livres et autant de rimes en a : Pura Vida, Équatoria, Kampuchéa, Peste & Choléra, Viva, etc.
Dès l’origine, il y a une vingtaine d’années déjà, l’idée de cette folle entreprise avait été explicitée par l’auteur, qui s’adressait ainsi à son éditeur : « je lui tendais une feuille, sur laquelle figurait la liste des douze « romans sans fiction » que je voulais écrire, sur douze lieux de la planète, dont je reprendrais l’histoire en accéléré, de 1860 à nos jours. » Neuf de ces romans ont depuis été publiés, le dernier en date étant Samsara, en 2023.
Au regard de cette abondante géographie romanesque, Saint-Nazaire est un roman sans fiction apparaît donc comme une sorte d’escale, à la fois rappel du point de départ et esquisse d’un point d’arrivée. Une pause, simplement, où l’homme Deville revient aussi, l’air de rien, sur ses origines et un peu de l’histoire personnelle qui accompagne celle de l’institution culturelle qu’il n’a pas lui-même fondée, mais dont il conduit les aventures depuis de nombreuses années, la MEET de Saint-Nazaire, cette formidable Maison des Écrivains Étrangers et des Traducteurs ouverte depuis 1987.
L’art du romancier, c’est son sens de la combinaison dans cette navigation où tout est permis, à commencer