Les vies des morts – sur Trésor caché de Pascal Quignard
Trésor caché appartient, a priori, à la veine romanesque de l’œuvre de Pascal Quignard, cette œuvre proliférante et polymorphe, immense à mesure que passent les années et se multiplient les titres, les fragments, les essais, les récits, les traités… On se dit alors : tiens, voilà vraiment une histoire, avec des personnages et un fil que va tendre ce génial érudit et poète un peu fou pour nous faire marcher au-dessus du vide de la vie et de la mort, de l’antique et de l’aujourd’hui (ses habituelles marottes de latiniste insatiable).

Et puis, très vite, on comprend que c’est autre chose encore : un roman, en effet, qui s’ouvre sur la possibilité d’une intrigue, mais ne saurait s’en satisfaire, car chaque chapitre, chaque séquence même, et presque chaque paragraphe, est en soi la possibilité d’un roman dans le roman, une expérience d’écriture pour elle-même, quelque chose comme une épiphanie qui se répéterait à l’infini, à chaque fois différente. On glisse ainsi de la troisième à la première personne, du passé simple au présent, d’un personnage à l’autre, d’un fils à sa mère, d’une mère à sa fille, de la gare de Sens à la baie de Naples ou à Capri, dans un mouvement perpétuel qui s’amorce dès les premières pages : c’est comme s’il y avait presque trop d’écriture(s), en fusion, dans le chaudron chauve du crâne de Quignard. Quel or métaphorique cherche-t-il donc à fondre, ce drôle d’alchimiste obstiné ?
Du trésor tout matériel du titre, sonnant et trébuchant, il sera bien question : ne nous emballons pas. C’est effectivement d’un roman qu’il s’agit d’abord, si poétique soit-il, qui s’ouvre sur une séquence poignante où est racontée la mort d’un chat. Il est rare que l’on pleure dès les premières pages d’un livre, mais ici ce sont bien des larmes, simples, qui viennent quand Louise, dans sa maison au bord de l’Yonne, dit adieu à Peer, son compagnon de tant d’années, de tant d’amour. Elle décide de l’enterrer au bord de l’eau, dans son jardin, et là, prodige, en