Littérature

Un siphon, les petites marionnettes – sur La vie sociale de Jérôme Orsoni

Critique

Plongée en forêt et en soi-même, le dernier récit de Jérôme Orsoni convoque notamment Wittgenstein, Thoreau et John Cage, pour remédier à l’ennui et la colère de la « vie sociale », quand on ne sait plus ce qu’on fiche là. De la littérature « dure », vertigineuse, mais qui invite à cheminer et à se laisser couler dans le flux de l’impermanence, jusqu’à la joie.

Le narrateur file un mauvais coton hétéronormé, pas très déconstruit, plutôt du côté prédation : « Elle, je crois qu’elle attendait que j’essaie de l’embrasser. » Heureusement ce baiser volé rate car « je ne sais pas si c’est à cause de l’alcool ou de sa bêtise, mais c’est à ce moment-là que j’ai vomi sur son chemisier rouge ». Sympa. Manquerait plus qu’elle « prétend[e] par la suite que j’avais tenté de l’agresser sexuellement, ce qui n’est évidemment pas le cas ». Théoriquement, à cette phrase, on referme le livre et on le jette.

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Une prise de conscience est cependant possible, on sent que ça peut se soigner car, un peu plus tôt, le narrateur s’est rendu compte qu’il était « un sale type » : « Tu es un sale type, me suis-je dit, l’incarnation du désir qui anéantit l’humanité. Et puis je me suis repris : Non, tu étais un sale type. » En l’occurrence, un photographe qui en a marre de vampiriser ses modèles féminins et qui veut arrêter.

L’honnêteté critique obliger à avouer que cette remise en cause post #metoo n’est pas le sujet du récit. Le narrateur de La vie sociale vient plutôt d’avant, du pays de Beckett et de Blanchot, où l’inadéquation du désir fait partie d’une bouillie globale, d’une inadaptation généralisée : littérature de l’inconvénient d’être né et du Weltschmerz se demandant ce qu’on fout là. Assez vite, il délaisse « Paris, capitale de la fin du monde » (rires benjaminiens dans la salle) pour mener une « histoire de la forêt », la même forêt sans doute que Lenz traversait dans la nouvelle de Büchner, celle de la folie du roi Marc, de Hansel et Gretel et du Grand Meaulnes, forêt où l’on n’est pas sûr que son cas va vraiment s’arranger – il va plutôt s’épaissir dans une sorte de lucidité extrême qui caractérise les états mélancoliques. Si l’on remplace les synapses par des branchages, est-ce que ça va mieux (oui, à condition de poser des oiseaux dessus, ou des notes de musique) ?

Le mal du narrateur vient de plus loin, dès le début en quelque s


Éric Loret

Critique, Journaliste

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