Exposition

Soi-même comme un autre ? – sur « L’intime, de la chambre aux réseaux sociaux »

Sociologue

Jusqu’au 30 mars prochain, le Musée des arts décoratifs consacre une exposition à l’intime. On y découvre comment les espaces d’intimité sont équipés, habités, vécus de manières très différentes selon les époques et les individus. Pleinement sociaux, les mondes intérieurs apparaissent comme des miroirs de nos vies publiques.

Comment exposer l’intime ? La question soulève un paradoxe, l’intime définissant le plus profond de soi, là où une ex-position consiste à « poser en dehors ». Dans un extrait des Confessions devenu fameux, Saint-Augustin s’adresse ainsi à Dieu : « Mais toi, tu étais plus intime que l’intime de moi-même et plus élevé que les cimes de moi-même. » Sur le chemin vers son for intérieur, Augustin rencontre le divin, la transcendance dans les cimes de soi-même dont il n’existe, sinon par le Verbe, aucune représentation. On se demande ce qu’une exposition pourrait bien faire de cet intime-là…

Ce n’est donc pas l’intime au sens fort qu’on peut voir exposé au Musée des arts décoratifs jusqu’au 30 mars, mais plutôt l’intimité, le privé de chambres dont on découvre qu’elles sont bien souvent des antichambres du monde extérieur.

Intimité et civilisation

Si certains lieux intimes ont bien des fonctions propres, la plupart de ces lieux ne sont conçus qu’en relation à nos états dans la sphère publique. Avant tout, l’intime recueille ce qui est indigne d’être montré. La notion de civilisation, telle que l’a étudiée Norbert Elias, décrit ce processus de rejet de « l’animalité » des comportements humains dans des espaces circonscrits et soustraits au regard public. Le corps nu, les odeurs qu’il dégage, les déchets qu’il évacue n’ont plus de place en société dans le courant du XVIIe siècle. En choisissant le XVIIIe siècle pour terminus a quo, l’exposition du Musée des arts décoratifs décrit donc un monde déjà pétri par le processus de civilisation.

L’une des quatorze salles de l’exposition, consacrée aux lieux de commodités, traite ainsi de la séparation entre le propre et le sale. Comme pour questionner cette séparation en la montrant, l’installation de Judy Chicago Menstruation Bathroom from Womanhouse est convoquée. On y voit un amoncellement de  protections hygiéniques usagées, une vision impossible qui brise le tabou si persistant du sang menstruel. Le panneau introductif de la s


Benjamin Tainturier

Sociologue, Doctorant au médialab de SciencesPo