Juge et partie – sur Giovanni Falcone de Roberto Saviano
Je n’avais jamais lu ni vu Gomorra, ce roman sur la Camorra, qui devint un best-seller, puis un film. La plupart de mes amis italiens non plus. Je savais que, depuis sa parution, Roberto Saviano vivait sous protection policière. La plupart de mes amis italiens, aussi. Malgré l’exemple de Salman Rushdie, ni eux ni moi n’avions sans doute bien mesuré ce que signifie cette vie de reclus, sous la menace permanente d’une exécution. Quand j’ai vu apparaître Giovanni Falcone (titre français de Solo è il coraggio), j’ai voulu voir à quoi son roman ressemblait, parce qu’il avait pour cadre la Sicile, et parce que la Sicile, depuis au moins Garibaldi, renvoie à l’Italie toute entière.
Et j’ai vu.

Giovanni Falcone est un grand livre, scrupuleux, foisonnant, violent, passionnant, doté d’une puissance d’entraînement peu commune. A qui veut comprendre le monde et notre rapport au monde, sa lecture est salutaire. Dans un avertissement liminaire, Saviano le présente joliment comme un « retable fabriqué à l’aide des outils littéraires offerts par le roman ». Puis, il ajoute que « tout cela a eu lieu », une phrase qui vaut mieux que le poncif d’histoire vraie. On peut le lire en connaissant ou non la Sicile, les villes, l’arrière-pays, en ayant vu ou non les films qui racontent la même histoire, Le traitre de Marco Bellochio, ou des histoires aux échos envoûtants comme Cadavres exquis de Francesco Rosi. On peut le lire en ayant déjà lu, ou non, quelques romans comme le chef d’oeuvre de la littérature italienne, Conversation en Sicile d’Elio Vittorini, ses fureurs abstraites et ses ciels violets inoubliables.
Sous forme de prologue, situé pendant la deuxième guerre mondiale, le premier chapitre nous emmène dans le village de Corleone, une terre âpre, où « les chiens mangent des chiens pour ne pas crever ». Il raconte l’explosion accidentelle d’un obus américain, récupéré par un paysan et ses trois fils. Le seul survivant sera l’aîné, douze ans, Totò, nom de famille Riina, le