Littérature

« Malgré-nous », mode d’emploi – sur La Maison hantée de Michèle Audin

Écrivain

La Maison hantée, le nouveau livre de Michèle Audin, se veut un roman, même si la part de l’histoire y est essentielle. Cette passionnante enquête-fiction sur le passé d’un immeuble strasbourgeois imaginaire permet en effet à l’écrivaine d’évoquer la question des « malgré-nous », ces jeunes Alsaciens et Mosellans enrôlés de force dans la Wehrmacht ou la Waffen-SS pendant la seconde guerre mondiale, et de s’interroger sur les zones incertaines, toujours contemporaines, de la culpabilité individuelle et de l’identité collective.

Michèle Audin est une singulière et remarquable héritière de Georges Perec. D’abord, de façon évidente, parce qu’elle est mathématicienne et membre active de l’Oulipo, où elle œuvre à faire vivre avec ses condisciples la littérature à contraintes, dont l’auteur de La Vie mode d’emploi reste sans doute le plus illustre représentant. Ensuite, et de façon peut-être plus profonde, ou plus intime, par l’importance dans son travail de la question de la mémoire, liée évidemment à une expérience personnelle, familiale, douloureuse : la mort sous la torture de son père, Maurice Audin, pendant la guerre d’Algérie, en juin 1957 –  « affaire » dont elle a tiré un livre magnifique, Une vie brève (L’Arbalète, 2013), et qui n’a trouvé une forme de résolution qu’en 2018, avec la reconnaissance officielle par la France de sa responsabilité dans cet assassinat.

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La trace commune de la guerre qui fait des orphelins, chez Georges Perec et chez Michèle Audin, engage quelque chose comme une fiction partagée du vide, ou plus précisément de la place (de la pièce) manquante, du fait de l’injustice de l’histoire : ce qu’on peut donc appeler, en souvenir d’un titre générique, une esthétique de la disparition.

Ce qui est sûr, c’est que Michèle Audin a dans ses textes la préoccupation récurrente de l’histoire, de ses violences, et souvent de son rapport spécifique au(x) lieu(x). C’était le cas, par exemple, dans le récent Paris, boulevard Voltaire, (L’Arbalète, 2023), fascinant et systématique travail de redécouverte de vies diverses, derrière quatorze habitations numérotées du boulevard parisien, comme autant de stations sur le plan – intime, littéraire, historique – de son livre-cadastre. C’est le cas à nouveau dans ce qui se donne aujourd’hui explicitement pour un roman, dès le titre : La maison hantée, invitation apparente à la rêverie, réminiscence de récits d’enfance mêlés de fantastique et de mystère… mais qui dissimule, derrière sa façade, des drames bien réels. Il s’agit d’une


Fabrice Gabriel

Écrivain, Critique littéraire

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