Littérature

Une identification aux femmes – sur Le rêve d’un langage commun d’Adrienne Rich

Critique

Bardée de gloses et de prix aux États-Unis, la poétesse et théoricienne Adrienne Rich (1929-2012) arrive en France avec la traduction d’un de ses recueils majeurs. Où il est question du sadisme hétérosexuel, de l’invisibilisation des lesbiennes, de la réappropriation du corps et de matérialiser le « continuum lesbien » par un « langage commun ».

En musant parmi les essais d’Adrienne Rich, on tombe sur cette réflexion de 1997 dans l’article « Arts of the possible » : « Quand la démocratie devient “libre entreprise”, et les droits individuels l’intérêt personnel du capital, il n’est pas étonnant que l’ensemble des politiques sociales nécessaires à l’égalité démocratique soit rejeté tel un tas de débris qu’on nomme alors “administration tentaculaire”[1] ». Bill Clinton est à l’époque président, mais on se dit que la remarque caractérise tout autant les délires de département de l’Efficacité gouvernementale (Department of Government Efficiency, DOGE) de Donald Trump.

publicité

Ce dernier ne fait certes que reprendre, en mode ubuesque, une vieille antienne capitaliste. Mais cela n’ôte rien à la lucidité et l’actualité de l’analyse d’Adrienne Rich. En 2005, sous George W. Bush, elle écrira que les États-Unis sont « culturellement sidérés et dystopiques » et parlera d’un régime politique cruel et « t/ruthless », c’est-à-dire à la fois « impitoyable » et « falsificateur ».

Le nom d’Adrienne Rich n’est pas familier chez nous et elle a été peu lue en français (sauf au Québec). Les deux traductrices et postfacières du Rêve d’un langage commun notent qu’elle subit un peu le même sort qu’Audre Lorde, à peine sortie de notre déni hexagonal depuis quelques années : comme ironisaient les artivistes des Guerilla Girls en 1988, un des avantages d’être une femme artiste est qu’on atteint la gloire vers 80 ans ou bien qu’on est redécouverte une fois morte. Adrienne Rich est pourtant une poète reconnue très tôt en son pays, couverte de prix, dont le prestigieux National Book Award en 1974, à égalité avec Allen Ginsberg cette année-là. Mais « elle ne l’accepte qu’à condition de le partager avec les poètes Audre Lorde et Alice Walker, au nom de toutes les femmes ». Shira Abramovich et Lénaïg Cariou nous offrent ici la première traduction intégrale d’un de ses recueils.

Le paragraphe d’Arts of the possible cité plus haut fait évid


[1] Adrienne Rich, Essential Essays : Culture, Politics, and the Art of Poetry, New York, W. W. Norton & Company, 2018 [notre traduction]. Il existe en français La contrainte à l’hétérosexualité et autres essais, traduit de l’anglais (États-Unis) par Françoise Armengaud, Christine Delphy, Lisette Girouard et al., Genève, Mamamélis, 2010.

[2] Première traduction dans Nouvelles Questions Féministes, N°1, mars 1981, pp. 15-43.

[3] Adrienne Rich, Le sens de notre amour pour les femmes. Deux discours pionniers sur l’articulation nécessaire entre lesbiennes et féministes. Textes rassemblés par Émilie Notéris et Florence Andoka, traduit de l’anglais par Audrey Voydeville, Éditions Les Prouesses, 2025.

[4] Cf. Christopher Spaide, « « A Delicate, Vibrating Range of Difference » : Adrienne Rich and the Postwar Lyric « We » », College Literature, Volume 47, Number 1 (winter 2020), pp. 89-124.

Éric Loret

Critique, Journaliste

Notes

[1] Adrienne Rich, Essential Essays : Culture, Politics, and the Art of Poetry, New York, W. W. Norton & Company, 2018 [notre traduction]. Il existe en français La contrainte à l’hétérosexualité et autres essais, traduit de l’anglais (États-Unis) par Françoise Armengaud, Christine Delphy, Lisette Girouard et al., Genève, Mamamélis, 2010.

[2] Première traduction dans Nouvelles Questions Féministes, N°1, mars 1981, pp. 15-43.

[3] Adrienne Rich, Le sens de notre amour pour les femmes. Deux discours pionniers sur l’articulation nécessaire entre lesbiennes et féministes. Textes rassemblés par Émilie Notéris et Florence Andoka, traduit de l’anglais par Audrey Voydeville, Éditions Les Prouesses, 2025.

[4] Cf. Christopher Spaide, « « A Delicate, Vibrating Range of Difference » : Adrienne Rich and the Postwar Lyric « We » », College Literature, Volume 47, Number 1 (winter 2020), pp. 89-124.