Lointaines, lointaines et justes – sur Anatomie d’un suicide de Christophe Rauck
Anatomie d’un suicide, la pièce d’Alice Birch qu’on peut voir en ce moment sur la scène du Théâtre Nanterre-Amandiers n’est ni plus ni moins qu’un monument de l’écriture dramatique du premier quart du XXIe siècle – la postérité dira ce qu’elle voudra, on écrit toujours aujourd’hui.

Ce n’est pas seulement sa forme ambitieuse, jouant de montages et de simultanéités – forme, en réalité, loin d’être inédite dans la dramaturgie contemporaine, qui, après une fin de siècle dominée par l’écriture fragmentaire, bouscule la linéarité des formes en particulier en multipliant les subjectivités et en manipulant le temps[1] ; ce n’est pas seulement la hauteur du propos et la force de sa fable – l’hérédité sur trois générations d’une maternité pathologique ; ce n’est pas seulement la rigueur et la cohérence de son approche très frontale, l’intelligence et l’extrême sophistication de sa composition, ni même l’impressionnante maîtrise de son art dont témoignait cette auteure d’alors tout juste 30 ans (et qui connaissait alors une ascension fulgurante, notamment sous le chaperonnage de Katie Mitchell, avant de passer à l’industrie lourde du spectaculaire marchand pour ne plus écrire aujourd’hui que des scénarios de séries).
Ce qui, en plus de toutes ces raisons, fait de cette pièce un événement, c’est sa capacité à faire somme de l’état des questions et des recherches de l’art de son temps, à y saisir des puissances inemployées et à manifester, en pleine souveraineté, une part de l’expérience humaine avec une telle évidence qu’elle nous paraît entièrement neuve.
Comme toutes les grandes architectures, la construction riche et élégante de cette pièce est fondée sur un principe élémentaire mais aux implications vertigineuses, qui produit moins un ordre qu’un volume ample où peuvent respirer et circuler l’écoute, le jeu, l’imaginaire, la pensée – et beaucoup de vie. Cette construction est aussi exagérément compliquée à décrire qu’elle se révèle parfaitement limpide quand elle