Littérature

Trouver la voi(x)e – sur Gunks de Nicolas Richard

Critique

Grand traducteur de littérature américaine, Nicolas Richard s’attaque aussi à la géographie étatsunienne – avec ses propres mains. Dans Gunks, son dernier roman autobiographique, il tire le fil de l’analogie entre l’escalade et la traduction, montrant en quoi la quête existentielle de l’équilibre est consubstantielle à ces activités, qui postulent toutes deux un certain rapport au monde et aux mots.

Que fait un grand traducteur lorsqu’il devient écrivain ? Il réalise la même chose : il continue de forer une seconde langue à l’intérieur de la première. C’est ce qu’accomplit du moins Nicolas Richard dans son dernier roman Gunks : chronique d’un temps insouciant, quatre ans après la parution de ses carnets de traducteur, Par instants, le sol penche bizarrement (Robert Laffont 2021).

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Archive ludique, commentaire organisé de quelque cent-vingt livres traduits pendant une trentaine d’années (dont Richard Powers, Thomas Pynchon, Leonard Cohen ou Barack Obama), ses carnets se lisaient comme un essai de traductologie en acte ou bien comme une rêverie sur l’expérience physique et spatiale du cheminement entre deux langues, tel un équilibriste.

La photographie en couverture de Gunks assure le passage avec la dernière publication : on y voit le romancier dans sa jeunesse, non pas solidement planté, les deux pieds dans la terre ferme, mais légèrement instable, debout sur une seule jambe, et toujours affublé de ses fameuses chemises, marqueurs de son identité, bûcheron ou à fleurs, période contre-culture hippie, vers laquelle il tend régulièrement. En arrière-plan, un Combi Volkswagen jaune, qui rappelle celui d’En camping-car d’Ivan Jablonka, sur un terrain jonché d’accessoires de camping et de matériel d’escalade. Car non content d’être un homme de lettres, Nicolas Richard est aussi grimpeur, une double affiliation nouée dans les deux citations placées en exergue, l’une de David Chambre, sportif de renom et auteur de divers ouvrages (Le 9ème degré ; Il était une fois l’escalade) et l’autre de Mark Twain, dans la traduction de Bernard Hoepffner, éminent traducteur, mort accidentellement en tombant d’un rocher au Pays de Galles en 2017.

Le lien entre les deux figures a-t-il été consciemment pesé ? Apparemment non, sinon le soir où Nicolas Richard, présentant Gunks dans une salle d’escalade parisienne du côté de Nation, au milieu de grimpeurs-amateurs et d’amis trad


Béatrice Pire

Critique, Maîtresse de conférences-HDR en littérature américaine

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