Littérature

Écrits avant Minuit – sur Le Tricheur et La Corde raide de Claude Simon

Dramaturge

Publiés pour la première fois en 1945 et en 1947, les deux premiers textes de Claude Simon, Le Tricheur et La Corde raide, reparaissent chez Minuit. Le travail d’édition de Mireille Calle-Gruber permet de replacer ces deux titres dans la continuité de son œuvre, bien qu’on découvre, non sans amusement, que le jeune Simon y a fait l’inverse de ce pour quoi on le connaîtra par la suite.

L’œuvre de Claude Simon, on le sait bien, commence à Minuit – un Minuit de 1957 qui livre en peu de temps une poignée de romans très hétérogènes, qu’une étiquette journalistique générique transformera en mythologie littéraire du siècle, bientôt sanctionnée par une photographie un peu triste alignant leurs auteurs, qui semblent n’avoir rien à se dire, dans une ruelle sombre de Saint-Germain-des-Prés devant une porte par où on entre toujours aujourd’hui sans sonner[1]. En réalité, Claude Simon avait alors déjà quatre livres derrière lui, mais il en bloqua la réédition, considérant qu’ils n’avaient d’intérêt que comme prémisses d’une écriture qui ne s’était trouvée qu’ensuite[2] – ce qui fut, cinquante ans plus tard, gravé dans le marbre de papier bible de « ses Pléiade », dont ces textes sont exclus[3].

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Vient donc aujourd’hui, vingt ans après la mort de leur auteur, s’ajouter aux quatorze romans déjà connus ce volume de « premières œuvres », Le Tricheur et La Corde raide, tous deux publiés dans l’immédiat après-guerre, nous offrant ce bonheur rare de découvrir, dans la fraîcheur de son premier élan, le jeune auteur tout neuf après l’auteur confirmé et considérable dont l’œuvre était close par la fin et qui était le seul que nous connaissions.

Aussi exceptionnelle que soit une telle publication, il est important de souligner qu’elle n’est qu’une heureuse surprise de plus due au travail infatigable accompli par l’authentique ange-gardien de cette œuvre qu’est Mireille Calle-Gruber. Analyste, commentatrice, biographe, archéologue, archiviste et éditrice de Claude Simon, cette passeuse hors pair exhume depuis une dizaine d’années des inédits[4] aussi bien que d’improbables documents[5], comme elle s’emploie à faire exister son œuvre pictural[6]. À l’opposé d’un ordinaire raclage de fonds de tiroirs, son entreprise consisterait plutôt à ouvrir à pleins battants des volets restés clos pour faire salutairement entrer de l’air et de la lumière dans la grande maison


[1] En 1957, rue Bernard-Palissy, Jérôme Lindon publie en effet avec Le Vent de Claude Simon, La Jalousie d’Alain Robbe-Grillet, La Modification de Michel Butor, et bientôt Moderato Cantabile de Marguerite Duras, sans oublier Fin de Partie de Samuel Beckett, il réédite aussi Tropismes de Nathalie Sarraute (oui, c’est elle qui a commencé, en 1939, mais il faudra 18 ans pour cela se voit) et reprend opportunément à son compte et avec majuscules conceptuelles l’appellation « nouveau roman » employée dans Le Monde, avec une certaine moue dédaigneuse, pour qualifier cette jeune littérature par un académicien sexagénaire.

[2] À Alain Veinstein, après son Nobel : « Ces textes… correspondent à une conception littéraire qui n’est plus la mienne depuis longtemps et leur réédition ne peut que donner une idée erronée de mon travail actuel. »

[3] Claude Simon, Œuvres et Œuvres II (NB : pas « Œuvres complètes »), A. Duncan, éd., Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 2006 et 2013. Mireille Calle-Gruber dans sa « Présentation » des Premières Œuvres, décrit comment, d’abord envisagée par leur auteur dans les années 90, dans le cadre d’une intégrale, la publication de ces textes a été ensuite écartée quand le projet éditorial s’est restreint.

[4] Sont ainsi parus aux Éditions du Chemin de fer : en 2015, Le Cheval (nouvelle de 1958), en 2019, La Séparation (pièce adaptée de L’Herbe qui sera remontée la saison prochaine par Alain Françon [], en 2023 le Scénario de La route des Flandres (tentative échouée de cinéma) et en 2024, « Mon travail d’écrivain n’autorise à mes yeux aucune concession », correspondance de 1985, à l’occasion de l’adaptation théâtrale par Marie Vialle de L’Invitation. Voir également la biographie qu’elle lui a consacrée : Claude Simon, une vie à écrire, Seuil, Biographie, 2011.

[5] En particulier Les Comptes du temps, Carnets de Tante Mie, HDiffusion, 2020, témoignage par le document, préfacé par Pascal Quignard, de la vie admirable et minuscule de la tante adorée

David Tuaillon

Dramaturge, Critique

Notes

[1] En 1957, rue Bernard-Palissy, Jérôme Lindon publie en effet avec Le Vent de Claude Simon, La Jalousie d’Alain Robbe-Grillet, La Modification de Michel Butor, et bientôt Moderato Cantabile de Marguerite Duras, sans oublier Fin de Partie de Samuel Beckett, il réédite aussi Tropismes de Nathalie Sarraute (oui, c’est elle qui a commencé, en 1939, mais il faudra 18 ans pour cela se voit) et reprend opportunément à son compte et avec majuscules conceptuelles l’appellation « nouveau roman » employée dans Le Monde, avec une certaine moue dédaigneuse, pour qualifier cette jeune littérature par un académicien sexagénaire.

[2] À Alain Veinstein, après son Nobel : « Ces textes… correspondent à une conception littéraire qui n’est plus la mienne depuis longtemps et leur réédition ne peut que donner une idée erronée de mon travail actuel. »

[3] Claude Simon, Œuvres et Œuvres II (NB : pas « Œuvres complètes »), A. Duncan, éd., Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 2006 et 2013. Mireille Calle-Gruber dans sa « Présentation » des Premières Œuvres, décrit comment, d’abord envisagée par leur auteur dans les années 90, dans le cadre d’une intégrale, la publication de ces textes a été ensuite écartée quand le projet éditorial s’est restreint.

[4] Sont ainsi parus aux Éditions du Chemin de fer : en 2015, Le Cheval (nouvelle de 1958), en 2019, La Séparation (pièce adaptée de L’Herbe qui sera remontée la saison prochaine par Alain Françon [], en 2023 le Scénario de La route des Flandres (tentative échouée de cinéma) et en 2024, « Mon travail d’écrivain n’autorise à mes yeux aucune concession », correspondance de 1985, à l’occasion de l’adaptation théâtrale par Marie Vialle de L’Invitation. Voir également la biographie qu’elle lui a consacrée : Claude Simon, une vie à écrire, Seuil, Biographie, 2011.

[5] En particulier Les Comptes du temps, Carnets de Tante Mie, HDiffusion, 2020, témoignage par le document, préfacé par Pascal Quignard, de la vie admirable et minuscule de la tante adorée