Écrits avant Minuit – sur Le Tricheur et La Corde raide de Claude Simon
L’œuvre de Claude Simon, on le sait bien, commence à Minuit – un Minuit de 1957 qui livre en peu de temps une poignée de romans très hétérogènes, qu’une étiquette journalistique générique transformera en mythologie littéraire du siècle, bientôt sanctionnée par une photographie un peu triste alignant leurs auteurs, qui semblent n’avoir rien à se dire, dans une ruelle sombre de Saint-Germain-des-Prés devant une porte par où on entre toujours aujourd’hui sans sonner[1]. En réalité, Claude Simon avait alors déjà quatre livres derrière lui, mais il en bloqua la réédition, considérant qu’ils n’avaient d’intérêt que comme prémisses d’une écriture qui ne s’était trouvée qu’ensuite[2] – ce qui fut, cinquante ans plus tard, gravé dans le marbre de papier bible de « ses Pléiade », dont ces textes sont exclus[3].

Vient donc aujourd’hui, vingt ans après la mort de leur auteur, s’ajouter aux quatorze romans déjà connus ce volume de « premières œuvres », Le Tricheur et La Corde raide, tous deux publiés dans l’immédiat après-guerre, nous offrant ce bonheur rare de découvrir, dans la fraîcheur de son premier élan, le jeune auteur tout neuf après l’auteur confirmé et considérable dont l’œuvre était close par la fin et qui était le seul que nous connaissions.
Aussi exceptionnelle que soit une telle publication, il est important de souligner qu’elle n’est qu’une heureuse surprise de plus due au travail infatigable accompli par l’authentique ange-gardien de cette œuvre qu’est Mireille Calle-Gruber. Analyste, commentatrice, biographe, archéologue, archiviste et éditrice de Claude Simon, cette passeuse hors pair exhume depuis une dizaine d’années des inédits[4] aussi bien que d’improbables documents[5], comme elle s’emploie à faire exister son œuvre pictural[6]. À l’opposé d’un ordinaire raclage de fonds de tiroirs, son entreprise consisterait plutôt à ouvrir à pleins battants des volets restés clos pour faire salutairement entrer de l’air et de la lumière dans la grande maison