Exposition

Mémoires encodées – sur « Le monde selon l’IA »

Critique d'art

Après l’invention de la perspective, après l’art au temps de sa reproductibilité technique, le tournant IA interroge les régimes de vérité, la culture visuelle, la représentation en général, les techniques artistiques et, last but not least, la sensibilité. L’exposition du Jeu de Paume fait la généalogie de l’IA et explore ses possibles.

Qui détient le monopole de nos mémoires ? Qui contrôle les apparences et délimite l’espace d’hallucination dans lequel nous nous mouvons ? Depuis sa formulation par John McCarthy en 1955, l’« intelligence artificielle » s’est imposée comme une infrastructure omniprésente, réorganisant en profondeur les régimes de visibilité, de savoir et de pouvoir, ainsi que notre empreinte sur le monde.

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« Le monde selon l’IA », au Jeu de Paume, prend acte de cette reconfiguration paradigmatique et de l’impact des IA sur nos archives encodées. Didactique, la proposition aborde les enjeux écologiques, épistémiques et ontologiques soulevés par ces technologies. Sous le commissariat général du théoricien du cinéma et des cultures visuelles Antonio Somaini, avec la complicité de la chercheuse Ada Ackermann, spécialiste de l’œuvre de Serguei Eisenstein, du théoricien de la littérature Alexandre Gefen et de la commissaire Pia Viewing, rattachée à l’institution, l’exposition se présente comme une synthèse des dernières recherches autour des IA. Elle explore plus spécifiquement les « espaces latents », comme l’indique son sous-titre, et ce que signifie « percevoir, imaginer, comprendre, transformer, se souvenir d’un monde de plus en plus traversé par les technologies de l’IA ».

À travers une sélection d’œuvres inédites et réalisées depuis 2016 – souvent par des artistes-chercheur·ses –, elle propose un cheminement structuré par la distinction fondamentale entre « IA analytique » et « IA générative ». Des « capsules temporelles », sous forme de vitrines d’archives et d’objets, ponctuent le parcours et ancrent les thématiques dans le temps long de l’histoire des médias et des idées. Une riche programmation associée ainsi qu’un catalogue raisonné prolongent l’exposition dans une perspective de recherche-création, qui en constitue à la fois la force et la limite. Car si la plupart des œuvres résistent à l’écueil de l’illustration d’un propos – étant bien davantage moteurs des concept


[1] Grégory Chatonsky, Yves Citton, La quatrième mémoire, revue Multitudes, p. 191

[2] Vladan Vukliš et Anne J. Gilliland, « Archival Activism : Emerging Forms, Local Applications », in Bojana Filej (dir.), Archives in the Service of People – People in the Service of Archives, Alma Mater Europea, Maribor, 2016, pp. 14-25.

Marion Zilio

Critique d'art, Commissaire d’exposition indépendante

Notes

[1] Grégory Chatonsky, Yves Citton, La quatrième mémoire, revue Multitudes, p. 191

[2] Vladan Vukliš et Anne J. Gilliland, « Archival Activism : Emerging Forms, Local Applications », in Bojana Filej (dir.), Archives in the Service of People – People in the Service of Archives, Alma Mater Europea, Maribor, 2016, pp. 14-25.