La charge du nous – sur Immortels de Camille Kouchner
Immortels n’est pas tout à fait un roman à la première personne, mais plutôt à trois pronoms : le je, le tu, le nous. Je, c’est K, la narratrice, qui porte tout l’arc narratif depuis son lit d’hôpital, shootée et douloureuse : à cause d’un cancer, elle vient de subir une ablation du sein.

Tu, c’est Ben, son frère de lait, avec qui elle partage toute son enfance, et dont elle apprend la mort quelque temps avant l’opération. Le nous est fusionnel, jusqu’à ce que l’adolescence leur assigne des chemins distincts. L’adolescence, ou alors la famille, la société, l’époque, les adultes qui les entourent sans véritablement – émotionnellement – les entourer. C’est que K est une petite fille, et Ben un petit garçon. Autour des deux bébés, une constellation d’adultes tente de les élever, plus ou moins présents, plus ou moins convaincu·es de ce que sont et ce que doivent être un garçon et une fille. Mais également de ce que doivent être et sont : la société, la famille, la liberté, la sexualité, la gauche, la religion, la paternité, l’amitié, le loisir… Sous le prisme de cette double vie, à la fois fusionnelle et condamnée à la mise en différence, à partir du début des années 70, toute une époque se révèle dans l’héritage négatif de ses propres dégâts.
La charge du genre
Dans l’enfance le nous K-Ben s’accommode d’être un être « bicéphale », à deux genres, prenant en charge de façon commune ce qu’on attend d’un garçon et d’une fille alors, éduqué·es essentiellement par leurs mères respectives, dans une certaine idée de la femme libérée. Dans la petite enfance, cette force féminine, incarnée par l’autre duo en vis-à-vis que constituent les mères meilleures amies, semble ouvrir un champ de possible. Comme souvent pour les enfants, les frontières de leurs genres ne sont pas encore expérimentées. Au contraire, ils les élargissent à deux, dans ce qui pourrait s’entendre chez la narratrice comme une référence au célèbre texte issu de la prise de parole faite par Paul B. Preci