Littérature

La charge du nous – sur Immortels de Camille Kouchner

Critique

« À deux, fille et garçon, j’étais au complet » : c’est en ces mots que K, personnage principal du nouveau roman de Camille Kouchner, décrit sa relation fusionnelle avec son ami d’enfance, Ben. Quatre ans après la publication retentissante de La Familia Grande, l’autrice signe sa première fiction littéraire et sonde, depuis le prisme de l’enfance, les multiples violences que charrie l’imposition de la binarité genrée dans une famille post-soixante-huitarde, où l’injonction à la liberté omet toute considération de la fragilité de ses plus jeunes membres.

Immortels n’est pas tout à fait un roman à la première personne, mais plutôt à trois pronoms : le je, le tu, le nous. Je, c’est K, la narratrice, qui porte tout l’arc narratif depuis son lit d’hôpital, shootée et douloureuse : à cause d’un cancer, elle vient de subir une ablation du sein.

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Tu, c’est Ben, son frère de lait, avec qui elle partage toute son enfance, et dont elle apprend la mort quelque temps avant l’opération. Le nous est fusionnel, jusqu’à ce que l’adolescence leur assigne des chemins distincts. L’adolescence, ou alors la famille, la société, l’époque, les adultes qui les entourent sans véritablement – émotionnellement – les entourer. C’est que K est une petite fille, et Ben un petit garçon. Autour des deux bébés, une constellation d’adultes tente de les élever, plus ou moins présents, plus ou moins convaincu·es de ce que sont et ce que doivent être un garçon et une fille. Mais également de ce que doivent être et sont : la société, la famille, la liberté, la sexualité, la gauche, la religion, la paternité, l’amitié, le loisir… Sous le prisme de cette double vie, à la fois fusionnelle et condamnée à la mise en différence, à partir du début des années 70, toute une époque se révèle dans l’héritage négatif de ses propres dégâts.

La charge du genre

Dans l’enfance le nous K-Ben s’accommode d’être un être « bicéphale », à deux genres, prenant en charge de façon commune ce qu’on attend d’un garçon et d’une fille alors, éduqué·es essentiellement par leurs mères respectives, dans une certaine idée de la femme libérée. Dans la petite enfance, cette force féminine, incarnée par l’autre duo en vis-à-vis que constituent les mères meilleures amies, semble ouvrir un champ de possible. Comme souvent pour les enfants, les frontières de leurs genres ne sont pas encore expérimentées. Au contraire, ils les élargissent à deux, dans ce qui pourrait s’entendre chez la narratrice comme une référence au célèbre texte issu de la prise de parole faite par Paul B. Preci


Rose Vidal

Critique, Artiste