Se donner les chances de vivre – sur Autoroute de Sébastien Bailly
Si l’on s’intéresse un peu à la littérature du second vingtième siècle, et si l’on ouvre un roman écrit à la deuxième personne du singulier, on pense illico à La Modification de Michel Butor. C’est pavlovien.
Dans ce livre de 1957, écrit à la deuxième personne du pluriel, le personnage effectue un voyage en train pour retrouver sa maîtresse. Dans Autoroute de Sébastien Bailly, livre de 2025, la voiture a remplacé le train. Mais, contrairement à chez son illustre aîné, nous ne saurons pas qui sont les personnages de cette aventure. Pas de nom. Pas de genre. Pas d’indice. Juste, une personne prend sa voiture pour un voyage qui va durer « douze heures au moins ». Quitte sa vie courante. Cause alléguée : un coup de foudre impératif, un renversement de l’être qui oblige à la décision. Et qui explique la phrase inaugurale : « Tu as dû partir. »

Dans une autre vie Sébastien Bailly a travaillé pour la presse informatique. Il a également trouvé le seul « e » resté par erreur dans La Disparition de Georges Perec. Il est donc peu surprenant que son roman ait l’allure d’une sorte de jeu combinatoire, dont les soixante-cinq étapes, ou ramifications, ou chapitres, sont introduits par un verbe. Autant de balises sur les chemins d’une conscience qui part en quête d’amour.
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Le tracé de l’autoroute a beau être en ligne droite, c’est peu dire que les sentiers empruntés par l’esprit humain, eux, ne le sont pas. Les 65 chapitres d’Autoroute suivent en apparence l’aléatoire de toute conscience, son cheminement spiralaire, selon que le regard de notre conducteurice (oui, je sais, ça va en fâcher, des gens) se porte sur un élément du décor, un personnage, une odeur, un souvenir, un événement. Selon, aussi, que le personnage conduit ou sort de la voiture, pour y faire des choses aussi banales que manger, faire une pause – autant d’actions infimes qui, parce qu’elles interrompent le trajet, deviennent l’occasion de bouleversements considérables et d’une importance tout à