Spectacle vivant

Faire converser les générations – sur le Festival d’Avignon 2025

Autrice, cinéaste

Hanté par les tragédies qui traversent notre présent, le Festival d’Avignon 2025 a placé en son cœur la question de la transmission générationnelle. Des biographies dansées aux fantômes de Brel en passant par une fiction futuriste sur la mémoire effacée, il s’agit pour le spectacle vivant d’affirmer sa capacité à déplacer les perspectives et à élargir les possibles, en convoquant des filiations conflictuelles tour à tour honnies, rêvées, ou endossées.

Dans La Distance, spectacle écrit et mis en scène par l’actuel directeur du Festival d’Avignon, où la pièce était présentée, Tiago Rodrigues fait dire à une jeune fille s’adressant à son père : « Pendant des siècles sur Terre, vous avez utilisé les pierres des ruines pour essayer de construire quelque chose de nouveau. Toujours les mêmes pierres. Les pierres de la mémoire. De l’histoire. Tout s’écroulait et vous cherchiez dans les décombres les pierres qui vous serviraient à construire un monde nouveau ».

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Alors que l’on parcourt et s’installe au milieu des architectures centenaires de la cité des papes depuis quelques jours, en écoutant une telle réplique, on songe au projet de ce grand rassemblement des arts vivants – ce pari renouvelé depuis désormais soixante-dix-neuf ans entre ces vieux murs où l’on espère, à défaut d’un monde neuf, du nouveau parfois, de la beauté sûrement, et des émotions en résonance avec les secousses du monde.

Face à « la marche implacable de la bestialité » [1], on aurait presque cependant envie de faire sien le discours de la jeune fille interpellant le père, avec cette morgue cachant au fond une détresse, qui attise le souvenir d’une rage adolescente contre les choses telles qu’elles sont et auxquelles il ne faudrait jamais se résoudre. Alors, ils ont servi à quoi tous vos spectacles, tout votre art censé nous rendre meilleurs, vous qui vous gargarisez d’importance pour notre salut collectif et justifier vos subsides ? À quoi sert tout cela, de retrouver les vieilles pierres et d’en faire le réceptacle de vos ambitions, si les enfants meurent sous les bombes à Gaza, que d’autres sont enlevés en Ukraine, que l’ambition d’une planète viable est enterrée sous la vénalité pathologique de quelques-uns ?

Il serait malhonnête d’imputer aux artistes tous les malheurs du monde, et c’est au contraire quand tout paraît aller à vau-l’eau qu’on doit voler au présent chaque instant qu’on peut lui dérober, sans céder au lamento du monde immon


[1] Wajdi Mouawad, L’ombre en soi qui écrit, Leçons inaugurales du Collège de France. Chaire L’invention de l’Europe par les langues et les cultures (2024-2025) p.53

[2] Maxime Rovère, Parler avec sa mère, Flammarion, 2025.

[3] Tim Ingold, Le Passé à venir, Repenser l’idée de génération, traduit par Cyril Le Roy, Seuil, 2025.

Ysé Sorel

Autrice, cinéaste

Notes

[1] Wajdi Mouawad, L’ombre en soi qui écrit, Leçons inaugurales du Collège de France. Chaire L’invention de l’Europe par les langues et les cultures (2024-2025) p.53

[2] Maxime Rovère, Parler avec sa mère, Flammarion, 2025.

[3] Tim Ingold, Le Passé à venir, Repenser l’idée de génération, traduit par Cyril Le Roy, Seuil, 2025.